L’ambassadeur des Etats Unis d’Amérique au Cameroun a commis, le
mercredi 19 octobre 2011, une longue communication au cours d’une table
ronde avec la société civile à Yaoundé. Contrairement à ce qui a été dit
sur cette sortie, le diplomate américain n’épargne personne : ni la
presse, ni l’opposition, encore moins la société civile camerounaise.
Après avoir été longtemps été brocardé par les médias camerounais qui, au cours des derniers mois, lui reprochaient une attitude qui frise l’ingérence dans les affaires internes de son pays d’accueil, et les risques de déstabilisation qu’il faisait ainsi courir sur le Cameroun, Robert P. Jackson, l’actuel chef de la mission diplomatique américaine à Yaoundé a donc rompu le silence. Pendant que toute l’attention des leaders politiques nationaux était captivée par le contentieux électoral que vidait le Conseil constitutionnel, le diplomate en poste depuis un an sort de sa réserve et tente de justifier l’action qui lui est reprochée par une bonne frange de l’opinion camerounaise, avec, en toile de fond, un regard assez critique sur la vie politique, sociale et communicationnelle du pays. Sur son rôle, ou plus généralement, la mission que se donnent les Usa au Cameroun, décriée aussi bien par la presse nationale et une bonne partie des citoyens, le diplomate américain estime que personne n’y comprend absolument rien. Pour lui, ce n’est pas de l’ingérence que de « promouvoir la démocratie et la société civile à travers le monde ». Puis s’en suit un long développement sur la compréhension américaine de la démocratie, et dont on peut relever, dans ses traits saillants, une certaine proximité avec l’idée que le Cameroun se fait lui-même de cette notion : l’implication des citoyens dans l’exercice du pouvoir politique, des institutions républicaines solides, un bon dispositif normatif, un processus électoral libre, transparent et équitable qui permette l’alternance, la paix et la stabilité. Mais pour l’ambassadeur, il est clair que le Cameroun a encore des efforts à faire. Rien de nouveau cependant, puisque les pouvoirs publics sont les premiers à le reconnaître, même s’il n’est pas évident que l’Amérique et le pays de Paul Biya s’accordent sur le degré et le rythme de l’effort à fournir pour que le Cameroun soit érigé en véritable démocratie.L’opposition flagelléeRobert P. Jackson a la dent tout aussi dure contre la presse nationale et les journalistes qui, non contents de souvent détourner l’attention des citoyens de leurs priorités, se rendraient en plus coupables de mensonge pour avoir notamment fait croire à l’opinion que la société civile avait vocation à s’allier à l’opposition pour renverser le gouvernement. En rappelant que la démocratie « n’est pas la liberté pour les journalistes d’écrire et de publier ce qu’ils veulent », le représentant du pays de Uncle Sam au Cameroun ne semble pas manquer de bon sens, étant entendu que la presse nationale a souvent été invitée à plus de responsabilité et de pondération.S’agissant de la société civile camerounaise, l’ambassadeur américain ne semble pas la tenir particulièrement en estime. Pour cause, elle ne jouerait vraiment pas son rôle de « chien de garde pour amener les entités politiques à être responsables », pas plus qu’elle ne facilite « la participation et la sensibilisation des citoyens ». Il l’accuse clairement d’impartialité et condamne sa propension, soit à vouloir se substituer aux partis politiques en menant des combats qui vont bien au-delà de sa mission d’éveil des consciences, soit à rester un peu trop passive. D’où le souci de l’ambassade américaine pour son renforcement et sa transformation en un acteur important de la démocratie camerounaise.Concernant l’élection présidentielle dont les résultats ont été proclamés vendredi dernier, et le processus électoral camerounais dans son ensemble, l’ambassadeur Robert P. Jackson est plus nuancé. Il salue dans un premier temps à leur juste valeur, les efforts entrepris par les pouvoirs publics dans le cadre des opérations pré électorales : l’élargissement d’Elecam à la société civile, la gratuité de l’établissement de la carte nationale d’identité, la loi sur le vote de la diaspora. Il se réjouit par la suite du déroulement global du scrutin qui s’est tenu dans la paix. Là s’arrêtent les bons points, puisqu’il stigmatise l’abstention et tous ceux qui y ont contribué : les électeurs eux-mêmes qui, par naïveté, pensent à tort que cela pourrait être un moyen d’expression de leur mécontentement, l’opposition et ses candidats qui n’ont effectivement rien fait pour encourager les électeurs à voter pour s’en prendre plus tard au gouvernement , au Rdpc ou à Elecam. Le chef de mission diplomatique fait la même analyse que tous les observateurs avertis de la scène politique nationale, en relevant que la responsabilité des irrégularités constatées est partagée. Plus que tous les autres acteurs incriminés, l’opposition en prend pour son grade, elle dont le manque de sérieux et la réputation de désorganisation ont dépassé les frontières du territoire national. Les limites unanimement relevées dans l’organisation et les performances d’Elecam sont reprises par le diplomate qui au passage, ne manque pas d’égratigner le Rdpc. Heureusement sans conséquence, puis qu’il s’agit d’affirmations sans fondement, comme l’éternelle rengaine relative à l’usage des deniers publics à des fins de campagne électorale, ou le fait susciter la peur des électeurs « en faisant valoir que voter pour l’opposition entrainerait l’instabilité et la guerre civile ».Au final, personne n’est vraiment épargné par cette sortie de Robert P. Jackson dont tout le mérite est de remettre à l’ordre du jour la réflexion sur l’évolution démocratique du Cameroun. Au lieu d’être le « déchainement » que d’aucuns ont cru voir contre le gouvernement, il s’agirait plutôt d’une heureuse contribution que chaque acteur gouvernement, société civile, opposition, presse, Elecam- doit pouvoir s’approprier. Les réserves d’aujourd’hui seront ainsi les encouragements de demain.
Longin Cyrille Avomo