Ville dont la « camerounité » ne souffre d’aucune contestation, Garoua Boulaï souffre pourtant d’un mauvais voisinage des centrafricains que des autorités camerounaises locales soupçonnent de nourrir des velléités expansionnistes. D’où une tension assez récurrente à la frontière.
L’on a failli vivre une véritable escalade, le jeudi 24 novembre 2011 à la frontière de Garoua Boulaï. Pour cause, des militaires centrafricains venus faire leurs courses au Cameroun s’en sont violemment pris à un taxi moto camerounais qui refusait de se soumettre à une injonction de violer l’arrêté municipal interdisant l’accès des motocyclettes à l’intérieur du marché. L’intervention des forces de sécurité camerounaises pour rétablir l’ordre ainsi troublé a été suivie des coups de feu des soldats centrafricains qui ont par la suite traversé la frontière pour poser des actes d’une rare violence et bruler le drapeau camerounais. La situation aurait pu dégénérer en conflit ouvert si les autorités camerounaises n’avaient pas fait preuve de maîtrise, les consignes du chef de l’Etat étant de tout mettre en œuvre pour maintenir un climat de paix et de concorde dans nos frontières. Cet incident qui n’est pas un cas isolé, intervient à la suite d’une longue série faite d’incursions intempestives des soldats centrafricains lourdement armés sur notre territoire, des violations de l’intégrité territoriale du Cameroun par les autorités centrafricaines et de nombreux actes de provocation comme ce fut le cas, il y a quelques années, avec l’intronisation d’un chef centrafricain par son administration tout juste derrière la sous-préfecture de Garoua Boulaï. Pour les autorités camerounaises, la principale cause de ces incidents à répétition est le tracé de la frontière qui n’est pas entièrement matérialisée au-delà de la barrière officielle. « Les Centrafricains qui nourrissent un complexe d’infériorité voudraient donc en profiter pour grignoter une partie de notre territoire », confie un militaire camerounais. Mais ce n’est pas la seule raison. « Comme ils savent que nous leur sommes supérieurs en tout, ils veulent également démontrer leur importance à nos yeux en multipliant des actes d’inimitié. En plus, la Rca est très instable, où le pouvoir central contrôle à peine 08 départements sur les 16 que compte le pays ; elle est également très en retard par rapport au Cameroun, non seulement du point de vue du développement, mais aussi en matière d’instruction et de formation », explique David Kamsu, le sous-préfet de Garoua Boulaï. « Par exemple, personne parmi tous les responsables affectés aux fonctions de commandement ou d’administration territoriale n’y est vraiment préparé : le préfet du Nana Mambere est un professeur de lycées ; les autres responsables sont militaires : le président de la République, les ministres, les sous-préfets… » En plus, l’extrême pauvreté des voisins et le complexe d’infériorité a fini par développer en eux des comportements qui, pour les camerounais, frisent l’apologie du crime. Comme la transformation en actes de bravoure les vols perpétrés au Cameroun par leurs compatriotes. « Tout ceci fait que les populations centrafricaines aient parfois des attitudes dont ils ne mesurent pas toujours la portée ».Mauvais voisinage Difficile cependant de croire que le Cameroun est exempt de tout reproche dans ce climat souvent délétère à la frontière. En effet, une source proche des services de renseignements fait état d’un certain laxisme dans l’occupation de l’espace. Elle en veut pour preuve la distance d’une centaine de mètres qui séparent les derniers services publics camerounais de la frontière réelle, après le poste de douane, donnant ainsi du grain à moudre à la Rca. Cette portion du territoire national pratiquement abandonnée aux seuls commerçants est aujourd’hui considérée par les autorités centrafricaines comme une « zone tampon », c’est-à-dire n’appartenant à aucun des deux Etats, et sur laquelle le Cameroun ne saurait donc revendiquer sa souveraineté. Des levées topographiques ont cependant clairement établi l’existence d’une borne n° 13, datant de l’époque coloniale allemande, à quelques pas de la barrière centrafricaine. Toutes choses qui confirment que c’est là que se situe la limite entre les deux Etats. Pour les Centrafricains, le Cameroun s’arrête à sa barrière douanière. « Or si dès le départ, cette barrière avait été construite sur la frontière, cette zone ne serait pas aujourd’hui querellée. Il faut cependant relever la mauvaise foi de nos voisins, car même la prétendue zone tampon n’est pas respectée par eux. Ils ont de ce fait laissé construire un bar dont certains murs sont en Centrafrique et d’autres au Cameroun », ajoute notre source. Le débit de boisson en question, dénommé Gbane Bar, est effectivement remarquable par sa situation ambigüe. Construit en briques de terre brunes, il est à cheval entre le Cameroun et la Rca, débordant la frontière de quelques deux ou trois mètres. Sa partie centrafricaine se trouve juste derrière le bâtiment abritant le poste de la Police de l’air des frontières. Le côté camerounais pour sa part tient lieu de cabaret, où vient régulièrement se produire l’orchestre Suka Music, comme ce fut le cas dans la nuit du 19 au 20 mai 2012. Cette situation empêche que la nationalité de la structure soit déterminée, de même que celle de sa promotrice soupçonnée d’être détentrice à la fois d’une carte nationale d’identité camerounaise et d’une autre centrafricaine. Ce qui a conduit la partie camerounaise à demander la destruction pure et simple de l’édifice. Elle s’est heurtée au refus catégorique de son homologue centrafricaine, assorti d’une mise en garde : toute initiative unilatérale que prendrait le pays de Paul Biya en vue de casser Gbane Bar engendrerait une nouvelle escalade à la frontière. Le problème reste donc entier.