Rarement adresse du chef de l’Etat n’aura fait couler autant d’encre et de salive que le message de fin d’année de Paul Biya à la Nation le 31 décembre 2013.
Le ton, la tonalité, les intonations, les mots et les tournures syntaxiques utilisés ont quelque peu surpris les Camerounais par leur fermeté, leur dureté et leur gravité. De ce discours d’une vingtaine de minutes, les auditeurs et les observateurs ont surtout retenu non pas « les bonnes nouvelles », notamment le « traitement gratuit du paludisme chez les enfants de moins de cinq ans », ou « l’ouverture de trois hôpitaux de référence », mais le « réquisitoire » en règle contre l’action de l’Etat et le triomphe de l’individualisme. D’aucuns ont alors tôt fait de parler d’auto-flagellation, de ponce-pilatisme, ou « d’autocritique suicidaire ».
Derrière la pointe d’exaspération, les accents d’agacement et les soupçons de colère contenue perceptibles dans la voix et le propos présidentiels, on retiendra surtout ces interrogations qui fusent et crépitent comme des balles d’une mitraillette à plusieurs coups.Ces interrogations et ces questions auxquelles chaque Camerounais essaie d’esquisser ses propres réponses sont au nombre de six :1- « Mais d’où vient-il donc que l’action de l’Etat, dans certains secteurs de notre économie, paraisse parfois manquer de cohérence et de lisibilité » ?2- « Pourquoi, dans bien des cas, les délais de prise de décision constituent-ils encore des goulots d’étranglement dans la mise en œuvre des projets » ?3- Comment expliquer qu’aucune région de notre territoire ne puisse afficher un taux d’exécution du budget d’investissement public supérieur à 50% ?4- Enfin, il est permis de s’interroger sur l’utilité de certaines commissions de suivi de projets, qui ne débouchent sur aucune décision ».5- « Serions-nous incapables de faire ce que d’autres pays comparables au nôtre ont fait ou sont en train de faire » ?6- « Alors que nous manque-t-il » ?Six questions, graves, vastes, profondes, cruciales et essentielles, qui résonnent comme autant de sonnettes d’alarme et de dénonciation des sempiternels maux de l’administration camerounaise : inertie, incohérence, opacité, incapacité, tribalisme, égoïsme… A ces maux, on pourrait ajouter l’absence, l’absentéisme et l’indolence. Aveu d’impuissance ? Que non ! Exhortation et interpellation à plus d’ardeur et d’engagement « sans réserve dans cette nouvelle phase de notre grand dessein national », dixit Paul Biya.On n’aura pas besoin d’un dessin pour comprendre que ce discours « musclé » suscite beaucoup d’émotion et d’attentes en cette période où les Camerounais scrutent les faits, les gestes et les paroles du Président de la République pour y déceler un quelconque signe ou le moindre indice annonciateur d’un remaniement ministériel maintes fois annoncé par les oracles et plusieurs fois « reporté » depuis trois mois.Au-delà de l’émotion ponctuelle et circonstancielle qu’il a pu susciter, ce discours est un appel à l’humilité pour les hommes politiques d’ici et d’ailleurs. La parole humaine, fût-elle présidentielle, ne sera jamais la parole divine qui crée et transforme instantanément. En six jours, nous disent les Saintes Ecritures, Dieu avait terminé son œuvre de création. Et depuis lors, il se repose.
Pour l’Eternité. Pour l’homme politique ou l’homme d’Etat, l’action publique est sans repos, ni répit ; une œuvre de longue haleine, un éternel recommencement. Patience, endurance, abnégation sont ses viatiques dans ce long voyage vers l’émergence, la prospérité, le progrès, le développement, le bien-être individuel et collectif.Le « sursaut patriotique » pour le meilleur et contre le pire auquel Paul Biya invite les Camerounais pour la réalisation du « plan d’urgence » nécessitera et absorbera néanmoins beaucoup de sueur. Tant mieux si le Chef de l’Etat lui-même s’engage à épargner aux Camerounais le sang et les larmes.
Tel est son devoir. Toutefois, malgré leur « ferveur patriotique » saluée par le Président de la République, on imagine mal un tel grand dessein se réaliser sans transpiration et sans effort de la part des populations.La paix qui règne au Cameroun permettra certes de leur éviter du sang et des larmes. Mais entre l’effort et le courage d’une part, la facilité et l’indiscipline d’autre part, il faut choisir. L’évidence saute alors aux yeux : en 2014 il faudra encore beaucoup de sueur et davantage de travail au service de la patrie comme le professe la devise du Cameroun.
Dans son discours du 31 décembre ; Paul Biya a fait sa part du travail. Avec courage, il a osé. Il a dénoncé les maux qui minent les institutions, l’Administration et la société Camerounaises. Après les paroles, il reste les actes. Et le verbe se fera chair… Meilleurs vœux à toutes et à tous.