Le témoignage et l’hommage de Christophe Mien Zok à Charles Ateba Eyene.
C’est un Pascal Messanga Nyamding en larmes et presque aphone qui m’appelle ce vendredi 21 février. Il est 19h environ et j’ai de la peine à reconnaitre sa voix larmoyante et éplorée. « Christophe, Charles vient de mourir », me dit-il de manière laconique. Pour lui, il n’y a aucun doute : il n’y a qu’un seul Charles. J’ai de la peine à assimiler l’information. J’ai du mal à admettre la nouvelle. Et je lui demande : « Quel Charles ? » Il me répond : « Notre Charles. Ateba ».
Il n’entendra pas mon exclamation où se mêlent surprise, consternation et émotion. Il a raccroché !Je mets quelques minutes à pianoter sur mon téléphone, cherchant avec désespoir un interlocuteur capable de démentir l’information. Mais venant de Messanga Nyamding, il y a très peu de doute. Après quelques coups de fil, je me résous à appeler un très haut responsable du CHU. Qui me confirme la terrible et triste nouvelle : « Oui Ateba Eyene a rendu l’âme aux environs de 17h au CHU de Yaoundé ». Il n’y a plus de doute. Pendant que je compose mécaniquement quelques numéros de téléphone, tel un film au ralenti mon esprit déroule devant mes yeux éberlués quelques séquences des moments forts de notre relation depuis une quinzaine d’années.Plus exactement depuis février 1997.
Cette année là, à l’occasion de la fête de la Jeunesse, Marc Omboui qui co-présente avec moi les émissions « Expression directe » du RDPC à la radio et à la télé se propose d’organiser une table-ronde avec des jeunes de l’OJRDPC. Parmi les panélistes figurent un étudiant très volubile et à l’aise devant le micro. Il a l’élocution facile doublée d’une certaine éloquence. Il s’appelle Charles Ateba Eyene. Depuis deux mois, il est membre du Bureau National de l’Ojrdpc où il est entré à la faveur du Congrès ordinaire de décembre 1996.Le 17 mai 1997, le RDPC remporte les élections législatives et consolide sa majorité à l’Assemblée nationale. Par un effet mécanique, le temps d’antenne alloué au parti dans les émissions audiovisuelles augmente.
En ma qualité de Directeur des Organes de Presse et d’édition, je décide de « relooker » ces émissions : générique, jingles, etc. Par la même occasion, on décide de rajeunir l’équipe. Charles Ateba Eyene et Tehwui Lambiv nous rejoignent ainsi que Enanga Kebbi déjà connue des téléspectateurs de la CRTV. Cette collaboration avec Ateba Eyene que j’ai dû assumer face à la hiérarchie surtout après la création du « Club éthique », durera un « septennat » puisqu’elle prendra fin en 2004 à la suite de ses revendications salariales dont il avait abondamment parlé dans les médias. De là date notre brouille. De cet épisode date certainement son côté pitbull agressif vis-à-vis des responsables du Secrétariat Général du Comité central.Pendant cinq ans, j’ai refusé de répondre à ses attaques et à ses accusations contre moi. Chaque fois que je le rencontrais, je me contentais de lui dire : « Tu ne pourras jamais nier que je t’ai mis le pied à l’étrier car c’est moi qui t’ai recruté à la Direction des Organes de Presse. » J’aurais même pu ajouter que j’ai contribué à sa formation professionnelle et personnelle. Ses premiers ouvrages, je les ai relus et réécrits avec Francois Wakata. La construction de sa maison de Mfou ainsi que son mariage, j’y ai contribué d’une manière ou d’une autre. Voilà pourquoi je m’étais astreint à l’obligation du silence face à tout ce qu’il disait de moi. A tous ceux qui me demandaient pourquoi je ne réagissais pas, je répondais invariablement : « C’est un petit frère. Et puis sa mère était de l’Est. C’est mon neveu ».En 2009, à la levée de corps de son épouse à l’hôpital de la CNPS, il a fondu en larmes en me voyant m’incliner sur le cercueil. Et je lui ai dit à l’oreille : « Je ne pouvais pas ne pas venir. Ta femme était quelque part ma bru, ma belle-fille puisque j’ai contribué à la dot ».
A partir de cet instant là, il a été moins virulent avec moi dans les médias. En 2011, peu après le Congrès ordinaire, il est venu à mon bureau me féliciter pour mon entrée au Comité central en me disant : « Tu le mérites depuis bien longtemps mais tu ne devrais plus être Directeur des Organes de Presse. Toi tu devrais être au moins Secrétaire à la Communication et c’est moi qui serais assis à ta place ».Ainsi était Charles Ateba Eyene : impétueux, parfois irrespectueux, irrévérencieux, provocateur, impertinent, insolent mais courageux, inébranlable, la foi chevillée au corps dans ses convictions militantes et ses prises de position politique. Il avait en cela bien assimilé la leçon de Joseph Charles Doumba, qui nous rappelait à chaque occasion : « Il n’y a pas de Dieu sur terre ». Devenu la coqueluche des médias, il ne se rendait même plus compte que son engagement, sa fougue, son zèle pouvaient parfois desservir le parti. Emporté par son élan, il ne réalisait pas à quel point certaines de ses diatribes pouvaient être blessantes ou méchantes pour les personnes visées ; il ne se souvenait plus que tout ce qui est excessif puisse être vain. Son parler vrai était apprécié par les uns et redouté par les autres. Alors il mordait, il griffait, il tirait sur tout le monde sans nuance et sans sommation. J’avais l’habitude de lui dire qu’il ne faut pas cracher dans la soupe. Qu’on peut tout dire en y mettant des gants et des formes. Il n’en avait cure. Il aurait pu reprendre à son compte le slogan de Chantal Roger Tuile qu’il avait côtoyé à la Direction des Organes de Presse : « Le mot brutal au service de la vérité ». M’écoutait-il seulement ? J’en doute car il ne s’appartenait plus.Au moment où il nous quitte prématurément, laissant derrière lui une production livresque abondante, je me réjouis de la sincérité de nos relations jusqu’à sa mort : respect de l’un vis-à-vis de l’autre, respect de nos opinions et de nos positions souvent diamétralement opposées. Va, cheval fougueux, tu nous quittes trop tôt mais le RDPC que tu auras servi avec passion, dévouement et enthousiasme débordants jusqu’à la fin de ta vie ne t’oubliera pas.
Va, étoile filante, tes œuvres te survivront et tes sorties médiatiques illumineront encore le ciel et le parcours des militants du RDPC.
Par Christophe Mien Zok