Après la rencontre de Foumban en 1961, la Tripartite de Yaoundé en 1991 et bien d’autres grands moments du même acabit, le Cameroun a une fois de plus rendez-vous ce matin avec son passé, son présent et son avenir sur les hauteurs du mont Nkolnyada où est perché le Palais des Congrès de Yaoundé.
De toutes les dix Régions du pays, invités, participants et membres des grands corps de l’Etat convergent vers la capitale pour être acteurs ou témoins privilégiés d’un événement crucial dans la vie de la Nation. Malgré les divergences et les antagonismes, les présents et les absents auront au moins le même centre d’intérêt, à défaut de partager le même objectif. Qu’à cela ne tienne, les optimistes invétérés et les vrais patriotes croisent les doigts et prient à haute voix pour que le sommet de Nkolnyada n’accouche pas d’une souris.
Puisse l’union des cœurs et le souffle des prières qui s’élèveront pendant cinq jours de ce haut lieu de l’histoire contemporaine du Cameroun monter vers le ciel, principalement vers les cimes mythiques et mystiques du Mont-Cameroun, repère géographique de notre histoire et repaire symbolique de notre destinée commune. De la colline de Nkolnyada au sommet du Mont-Cameroun, nous devons conjurer le mauvais sort afin que nos cimes les plus hautes ne deviennent un cimetière ou un abîme pour nos ambitions d’unité et de progrès.
Rappelons à cet effet à ceux qui l’auraient oublié la célèbre maxime de Napoleon Bonaparte: « la seule chose qui ne change pas dans l’histoire c’est la…géographie ». Nous ne devons pas l’oublier au moment où s’ouvre ce matin le grand dialogue national convoqué par le Président de la République. Au nom de ce sacro-saint principe édicté par Napoleon, tous les participants aux assises de Yaoundé devront avoir à cœur de privilégier ce qui nous unit, par l’histoire et la géographie, la culture et les traditions, et non ce qui nous divise, tout en admettant que dans un tel exercice, aucun sujet ne saurait être tabou.
L’enjeu principal du grand dialogue national est connu: « ramener la paix dans les régions du Nord-ouest et du Sud-ouest, examiner les voies et moyens de répondre aux aspirations profondes des populations de ces deux régions, mais aussi de toutes les autres composantes de notre Nation. » Les chemins qui mènent vers ce cap sont certes escarpés comme les flancs du Mont Cameroun mais ils ne sont pas infranchissables. On a vu l’engouement autour des concertations organisées et conduites par le Premier Ministre, Chef du gouvernement; on a également entendu les critiques et les récriminations exprimées, fussent-elles fondées ou non. Les concertations ont sans doute permis de préparer le dialogue qui, dans sa phase formelle, débute ce matin. La structure et le format sont connus; les acteurs aussi: des séances plénières, des travaux répartis dans huit commissions, un porte-parole, etc.
Quant au contenu des thèmes, ils relèvent du domaine public: le bilinguisme, le multiculturalisme, le vivre ensemble, le système judiciaire et éducatif, la décentralisation et le développement local, la démobilisation, le désarmement et la réinsertion des ex-combattants, etc. À partir de là, le reste, notamment le succès de l’événement, dépend de la dynamique que les acteurs voudront bien lui insuffler. La force du dialogue doit être de loin supérieure à la volonté des forces du mal, visibles et invisibles, internes et externes, qui œuvrent pour la partition voire la disparition du Cameroun. Le train du dialogue national s’ébranle donc ce matin. On espère qu’il va arriver jusqu’à la gare, vendredi ou plus tard, avec dans son sillage toutes les locomotives et les personnes qui ont été tentées de sauter du train. Il s’agit d’une œuvre de longue haleine, digne de l’ascension du Mont Cameroun.
Ceux qui seront au cœur des débats au Palais des Congrès et ceux qui n’y seront pas doivent tous œuvrer pour que le défi principal soit relevé: stopper la crise, ramener la paix dans ces deux régions et travailler pour la prospérité et le progrès de tous les Camerounais, du Nord au Sud,de l’Est à l’Ouest.
Il ne reste plus qu’à souhaiter bonne chance aux participants et au Cameroun. Si, dans leurs recommandations et résolutions, ils trouvent la bonne synthèse entre la thèse du fédéralisme et l’antithèse de l’Etat unitaire, ils auront fait œuvre utile. Ils auront ainsi semé la graine de la paix et de la réconciliation. Cette synthèse peut-elle être l’Etat unitaire, réellement, sincèrement et profondément décentralisé? Aux dialogueurs réunis au Palais des congrès de prendre de la hauteur pour échapper aux pulsions primaires et aux pressions diverses et d’y répondre sans états d’âme.
Christophe MIEN ZOK