Dans la cosmogonie des peuples de la forêt faite de mythes et de valeurs, de croyances et de superstitions, la parabole du varan pourri est assez bien connue. Elle part du postulat que celui qui, en forêt, découvre les restes d’un varan en décomposition se retrouve presque toujours face à un choix cornélien et embarrassant annonciateur d’un malheur. Si l’auteur de la découverte annonce la nouvelle à la cantonnée, tant pis pour lui; s’il décide de la garder pour lui, il risque de subir une malédiction. Cette image est souvent convoquée et utilisée lorsqu’il s’agit d’illustrer un profond dilemme ou la quadrature du cercle par rapport à une situation donnée. Face à un problème, quelle que soit la solution envisagée, elle vous plonge dans un abîme de perplexité et d’incertitude au point où faire ou ne rien faire; décider ou ne pas décider comporte les mêmes risques.
La gestion du covid -19 semble ainsi plonger les gouvernements du monde entier dans l’embarras total à chaque étape de l’évolution de la pandémie. Il y a quelques mois le débat portait sur plusieurs questions: faut-il confiner les populations ou non? Totalement ou partiellement? Le port du masque ou les tests sont-ils obligatoires? S’agissant des traitements personne n’a oublié la polémique épique sur l’efficacité ou non de la chloroquine. Aujourd’hui les pouvoirs publics sont confrontés à d’autres querelles de même nature ou presque: faut-il déconfiner maintenant ou un peu plus tard? Progressivement ou d’un seul coup? L’école doit-elle réouvrir? À quelles conditions? Les compétitions sportives peuvent-elles reprendre? Quid des bars, restaurants, salles de spectacles et autres lieux publics? Question plus générale: entre la crise sanitaire et la crise économique, que faut-il choisir?
Les dirigeants de chaque pays essayent de répondre à ces questions en tenant compte de plusieurs facteurs: les réalités locales, les mentalités des populations, l’attitude de la classe politique, la solidité ou la fragilité du tissu économique, etc. Le Cameroun n’échappe pas à ce syndrome du varan pourri. Quoi que fassent les dirigeants, une certaine opinion, sous l’influence d’une partie de la classe politique, crée et entretient la polémique; tire à hue et à dia; dit une chose et soutient le contraire en même temps. Ils ont commencé par réclamer un discours du Président de la République alors que ce dernier posait des actes au quotidien dans le cadre de la stratégie de lutte contre le virus. Si Paul Biya avait accédé à leur caprice ils l’auraient revendiqué comme une victoire. Ils ont poursuivi en critiquant avec virulence la décision du gouvernement de fermer les bars et débits de boissons à partir de 18 heures tout comme l’injonction faite aux populations de rester à la maison. Ils ont contesté les mesures gouvernementales d’accompagnement et de soutien aux entreprises et aux opérateurs économiques. Aujourd’hui les mêmes poussent les cris d’orfraie et traitent les autorités de tous les noms d’oiseaux à la suite des mesures d’assouplissement prises la semaine dernière.
Que veulent-ils finalement? Tout et rien à la fois. En vérité aucune mesure, décision ou directive ne rencontrera leur approbation ou leur assentiment, encore moins leur soutien. Le comble c’est tout ce boucan orchestré autour de prétendus dons destinés à la lutte contre le covid-19 par une organisation illégale. Malgré les mises en garde et les rappels à l’ordre des pouvoirs publics sur la nécessité de respecter la réglementation en matière d’appel à la générosité publique, les responsables de cette forfaiture, tels des récalcitrants-récidivistes, persistent et signent en voulant remettre à tout prix ces dons viciés au ministre de la santé publique. Comme il fallait s’y attendre, cette démarche vicieuse et pernicieuse n’a pas prospéré. Tollé général de la part d’une certaine meute qui estime que le gouvernement sacrifie la santé des populations sur l’autel des considérations politiciennes. Alors qu’il s’agit du strict respect des lois et des règlements de la République. Les mêmes se seraient pourtant vantés d’avoir piégé les dirigeants du pays. Versatilité, duplicité, quand tu nous tiens!
Par ces temps de coronavirus, certains responsables politiques camerounais font donc planer sur notre pays une autre menace: le syndrome du varan pourri. Ils veulent absolument amener la population et les dirigeants à ne plus savoir à quel saint se vouer ou sur quel pied danser! Une telle attitude frise évidemment le ridicule. Ils répondront sans doute, s’ils en avaient conscience et connaissance, par ce syllogisme forgé par un humoriste: « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort; or le ridicule ne tue pas; donc le ridicule nous rend plus fort ». Ridicule comme la peau d’un varan pourri.