Regard d’un Officier
D’entrée de jeu, nous allons accepter de mouiller nos encres sur la fiche d’identité de l’auteur pour mieux le connaitre et valider ensemble son habilitation à aborder des questions de stratégie et de Défense. Nous larguerons ensuite les amarres pour essayer au terme de ce processus de légitimer du caractère scientifique de ses analyses, en vue de garantir l’audience la plus large possible à ses écrits pionniers sur la question de la Défense Populaire. Même si la thématique principale qu’il décortique peut sembler plutôt ésotérique, la houle, le roulis et le tangage nous rappelleront constamment que la mer est un habitat et un écosystème agité, et qu’une bonne voilure est indispensable pour rallier le premier mouillage sûr. Evidemment que tout ceci restera insuffisant pour devenir de véritables marins, et surtout pas des Sapeurs-Pompiers. Ni même des aviateurs ou fantassins. Quid des autres spécialités !!!
Comme vous l’aurez compris, nous évoquons ici la transversalité de la problématique posée, qui interpelle la conscience générale, la conscience du peuple, civils et militaires ensembles, embarqués dans un même bateau, l’arche de Noé de la paix, l’arche de la défense et de l’unité du Cameroun, par tous.
Ainsi, l’auteur de l’ouvrage intitulé « La défense populaire au Cameroun, comprendre un concept » est donc Mahamat Ahmed KOTOKO, officier Général de son état, Général de Brigade pour le compte de l’Armée de Terre, et Commandant le Corps National de Sapeurs-Pompiers.
Cet Officier Général à l’expérience professionnelle particulièrement remarquable, a pratiquement fait le tour des formations de l’Armée de Terre, du Bataillon des Troupes Aéroportées (Koutaba), jusqu’au 7ème Secteur Militaire Terrestre (Ebolowa), en passant par les coins et recoins des Formations et Unités disséminées aux quatre coins du triangle National. Deux séjours comme Chef du Secrétariat Militaire viendront agrémenter ce parcours, riche de plusieurs certifications dans les instituts internationaux de renommée sur les questions de Stratégie et de Défense, notamment l’Université de la Défense Nationale de l’Armée Populaire de Chine (Beijing), l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (Paris), et le Centre d’Etudes Stratégiques sur l’Afrique (Washington). Quid des distinctions honorifiques nationales et étrangères !!! elles sont nombreuses.
Convenons ensemble donc, compte tenu de ce qui précède, s’agissant de l’auteur que bien d’entre vous connaissent par ailleurs mieux que ma petite personne, et depuis bien fort longtemps, que son background l’auto-habilite et le capacite clairement à mener des recherches profondes, universitaires et militaires sur des questions éminemment stratégiques, voire de l’ordre de la doctrine de Défense. Il était temps.
Et que dire de la transversalité de la question principale et des interrogations subsidiaires abordées, avec pour axe de convergence centrale le concept de Défense Populaire, qui touche, ou mieux, invoque, convoque, somme le lien Armée-Nation, pierre angulaire de toutes les stratégies de sanctuarisation du territoire camerounais, cet espace blottis, coincé dans une atmosphère d’insécurité qui semble durer, d’une part d’émanation exogène avec trois variantes à la fois et distinctement extrémiste intégriste, criminogène et terroristes, à savoir :
- Boko Haram à l’Extrême-Nord,
- Rebellions centrafricaines à l’Est,
- Piraterie maritime au large.
Et d’autre part d’extraction endogène avec les troubles à l’ordre public progressivement mués en violence aveugle et sanglante dans ses régions administratives du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Pour en revenir à l’ouvrage, son niveau descriptif nous offre un phénotexte de 179 pages y compris un post scriptum dans lequel l’auteur se livre, se pose en agneau sacrificiel pour la cause qu’il défend, pour le concept qu’il aura tenté d’encadrer et d’expliquer sur 178 feuillets, et se rend disponibles à la critique, aux critiques qui selon lui ne peuvent que consolider le processus d’explication qu’il a engagé, sans jamais éprouver ni d’autosatisfaction, encore moins le sentiment d’avoir tout expliqué, de détenir ou de diffuser la science infuse.
Ce phénotexte que nous abordons est subdivisé en trois parties d’inégale distribution.
La première partie s’étale longuement et amplement sur les enjeux de la Défense populaire, ses fondements doctrinaux, et la téléologie de l’organisation de Défense ainsi que de ses acteurs.
Ici, et partant des enjeux multiples de nature à justifier la Défense populaire, l’auteur note que le Cameroun évolue dans un espace géographique régional fait de contestations des frontières, de conflictualités à caractère régionales avec des risques de glissements transfrontaliers, des flux transnationaux de populations généralement difficiles à contrôler, des agressions subversives à l’instar du terrorisme, des extrémismes de tous genres et des envahissements culturels, tous des maux de nature à porter atteinte à l’intégrité et au crédit, au fonctionnement et/ou à l’autorité de l’Etat, voire tout simplement à la vie des populations.
Les risques environnementaux et sociétaux ne sont pas du reste. Quid du déclin du civisme des citoyens, du règne de la loi de la jungle et de la banalisation de la vie humaine dans un environnement sociétal où le désormais citoyen volontairement passif attend de l’Etat des prodiges dont il se croit créancier. D’un côté ce citoyen réclame en permanence, et de l’autre il se défile tout le temps, estimant que les lois sont faites pour les autres.
S’émancipant d’une vision narcissique et réductrice au Cameroun, l’auteur analyse la mondialisation comme étant source non négligeable de problèmes, en ce sens qu’elle induit la globalisation des crises et conflictualités, avec au final l’exacerbations de toutes les formes de fondamentalisme et d’intégrismes ayant conduit à l’apparition d’organisations criminelles et/ou terroristes : Al Qaïda au Maghreb islamique, Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique Occidentale, Armée de résistance du Seigneur, Ansar Eddine, Boko Haram, et la liste n’est pas exhaustive.
Partant donc du constat que les menaces pouvant s’exercer sur le Cameroun ne peuvent plus résulter seulement des conflictualités géographiquement localisées du type BAKASSI, il relève que lesdites menaces sont fluctuantes, multiformes et protéiformes, pouvant aller du vandalisme au terrorisme, en passant par la destruction de l’environnement, le braconnage sauvage, les pressions économiques ou envahissements culturels imposant des formes de vie aliénantes pour la conscience nationale.
Dès lors, le concept camerounais de défense populaire identifie les agressions potentielles que pourraient subir le territoire national, qu’elles soient d’origine internes, en provenance de pays limitrophes ou voisins, ou encore de certains Etats certes lointains, mais puissants et nuisibles. Celles-ci relèvent de six catégories : agressions subversives, agressions psychologiques, agressions armées, agressions économiques, agressions diplomatiques, agression totale (celle-là même qui combine toutes les autres formes d’agressions dans une équation difficile à prévoir et à plusieurs inconnues.
A ce stade enfin, l’auteur peut atterrir sur les fondements même de la Doctrine de Défense Populaire du Cameroun, instrument sensé permettre au pays de résister à toute forme d’agression. Il s’agit d’un système reposant sur une approche intégrée nécessitant une coordination au plus haut niveau d’un ensemble de mesures mises en œuvre par des intervenants civils et militaires. En termes simples, il s’agit en situation crisogène de mettre ensemble les effectifs de l’Armée régulière, et ceux de la Réserve. Et donc en raccourci de ce que l’on peut oser qualifier de PEUPLE EN ARMES.
A cet effet, l’auteur relève à juste titre que dans le système camerounais de DEFENSE POPULAIRE, la puissance militaire du pays ne réside pas dans l’Armée seule, ni dans la Nation prise isolément, mais dans la réunion des deux, dans une union sacrée de toutes les forces vives.
Le dispositif institutionnel et normatif sur lequel s’adosse le concept camerounais de Défense Populaire est à ce titre riche de références, au rang desquelles la Constitution, de nombreuses lois et Décrets que le lecteur retrouvera parfaitement et chronologiquement énumérées et expliquées dans les pages de l’ouvrage.
La deuxième partie ambitionne de rendre compréhensibles les déterminants d’une défense populaire prospective au Cameroun. Ainsi, pour les pères fondateurs de la Défense Populaire camerounaise, il s’agissait d’exalter l’esprit de Défense chez tous les citoyens. Esprit de défense sans lequel toute Défense Populaire est vouée à l’échec. L’esprit de Défense est donc ici défini comme une attitude morale qui se traduit par une forte conscience des valeurs à défendre ainsi que la volonté de les préserver. C’est un esprit de résistance à la passivité, le souffle qui stimule la détermination des citoyens à assurer leur défense, et qui s’enracine directement dans l’esprit civique qui anime leurs activités dès le temps de paix.
Enfin, l’esprit de Défense peut être assimilé au patriotisme en temps d’urgence nationale. L’Esprit de Défense est ici l’un des multiples facteurs psychologiques et moraux dont l’importance est avérée et sans lequel aucun système de Défense ne peut s’édifier, encore moins se consolider durablement.
Au final, les soldats comme les citoyens devraient avoir une perception suffisante de la menace, intégrer que la société dans laquelle ils vivent est digne d’être défendue. Les soldats comme les citoyens devraient être régulièrement bercés et sensibilisés par un discours officiel mobilisateur, prenant en compte l’adage latin ‘‘si vis pacem, para bellum’’, que l’on peut dans un sens large traduire par : celui qui se tient prêt à la guerre la prévient en décourageant les agressions que pourraient provoquer des signes de faiblesse.
Je voudrai à ce niveau me joindre à l’auteur pour évoquer, bien évidemment sans commentaires ni interprétation, ces propos du Chef de l’Etat, S.E.M Paul BIYA, Chef de l’Etat, Chef des Forces Armées, prononcés le 09 novembre 1985, à l’occasion du triomphe de la Promotion ‘‘Rigueur et Moralisation’’ de l’Ecole Militaire Interarmées : ‘‘Face à l’ampleur des besoins de notre pays en voie d’émergence, et à celle des charges qu’impose la modernisation de notre Défense, le Cameroun ne saurait maintenir indéfiniment une Armée de métiers ; celle-ci devra par conséquent envisager à terme la mise en place progressive et l’encadrement logistique d’un corps de réservistes bien initiés’’.
Entre temps donc, l’auteur observe que la Défense camerounaise a besoin d’homme et de structures efficaces pour demeurer une réalité. Des hommes et des femmes engagés et conscients des enjeux, décidés à prendre des risques, bien formés, entraînés et solidaires dans les actions à mener. Fort heureusement, il constate que cette catégorie d’hommes et de femmes constitue la grande majorité des Forces de Défense camerounaises.
La troisième partie enfin ouvre sur la prescription des cadres d’action souhaitables pour la réalisation optimale de la stratégie de Défense populaire, cœur même de l’ouvrage comme concept à comprendre.
A ce sujet, l’auteur pose quatre prérequis pour assurer l’adhésion des populations à la politique de Défense nationale, condition même de son efficacité sous le prisme de la Défense Populaire. Il s’agit de faire prendre conscience des enjeux, développer le sentiment de responsabilité, susciter l’action des autorités morales, réduire les dépendances vis-à-vis des Etats voisins par une politique volontariste des frontières.
D’où la nécessité entre autres solutions de la réactivation comme par le passé du Service Militaire à divers niveaux, et l’activation effective du Service Civique de participation au développement, comportant un volet formation militaire obligatoire destinée aux assujettis.
Le service militaire ainsi réactivé pour tous devra à terme permettre de convoquer la conscience de la jeunesse en lui donnant des raisons manifestes d’un comportement citoyen. Ce service militaire aidera de nombreux camerounais à ne plus considérer le service des armes pour la Défense de la Patrie comme appartenant à un monde à part, ou comme lié à d’étranges assujettissements bêtes et déformants, mais plutôt comme la voie indiquée pour faire face à tout ce qui peut attenter à la sécurité de leur pays.
D’ailleurs, l’auteur insiste pour dire et défendre bec et ongles que le service militaire proposé est une véritable école de citoyenneté, dont le but premier est avant tout d’assurer la défense du territoire, tout en contribuant efficacement à la diffusion et au renforcement du sentiment national, à la consolidation de l’esprit de Défense et enfin à la transmission des valeurs républicaines.
En choisissant d’éclairer les décideurs, les chercheurs et universitaires, les soldats, bref, la communauté nationale sur la question fort sensible de la Défense Populaire au Cameroun, comprendre un concept, l’auteur est en plein dans l’accomplissement de la mission d’un citoyen. Doublée de celle d’un Officier Général, et je ne laisse pas en reste la fonction de Chef de Corps. Cette mission de domestication, de l’enracinement de de la vulgarisation de la science et de la pensée critique constructive au sein de la communauté de Défense, en phase avec le progrès et le développement du Cameroun, relève du sacerdoce, voire du sacrificiel au service des Forces de Défense, au service de la Nation.
C’est ainsi donner raison au Chef de l’Etat, Chef des Armés, Son Excellence Monsieur PAUL BIYA, qui, dès les années 2001, avait engagé la grande réforme de professionnalisation et d’adaptation de Forces de Défense camerounaises aux enjeux du 21ème siècle, le siècle de toutes les menaces, le siècle de tous les défis, et plus que jamais pour le Cameroun, l’épreuve ultime du concept de Défense populaire.
Serait-on à ce niveau tenté d’invoquer un texte à caractère hagiographique que l’on ne risque pas beaucoup de se tromper, tant l’auteur aura tout mis dans la balance pour rechercher les déterminants, retrouver les liens et liants qui pour la toute première fois, expliquent sous le ciel du Cameroun, et rend accessible le concept de Défense Populaire, si cher à notre Défense nationale, celle-là même qui a suffisamment démontré qu’elle pouvait souvent et malheureusement plier, mais heureusement sans jamais rompre. Mieux, se redresser avec forte résilience et vitalité.
Chapeau au stratège.
Chapeau au Chef militaire.
Mon Général, bon vent à votre ouvrage, à votre œuvre que j’aurai ici essayé de décortiquer sous un regard jamais neutre, mais de soldat convaincu de ce que prônait déjà S.E.M Paul BIYA, dans son discours de prestation de serment à l’Assemblée Nationale, le 03 novembre 2011 à Yaoundé, en République du Cameroun : « La République exemplaire que nous bâtissons est une République ouverte aux critiques constructives, sans revendication du monopole de la vérité ». Fin de citation. /- - Commissaire de la Marine,
Chef de Division de la Communication au Ministère de la Défense
Par le Capitaine de Frégate Cyrille Serge ATONFACK GUEMO*