Nkotti François est mort et sera inhumé ce week-end dans sa terre natale de Souza. Évocation de quelques tranches de vie d’un passionné de la musique et de la…politique.
Je connais Nkotti depuis ma tendre enfance. Pendant mon adolescence, bercée et égayée par la musique en général et le Makossa en particulier, j’ai appris à aimer sa voix de stentor remarquable et inimitable. Il entrera définitivement dans mon Panthéon musical en 1978 à la faveur de la sortie de l’album les Black Style à Paris. Un pur régal et un vrai nectar dans la discographie camerounaise. Certes, Toto Guillaume ne faisait plus partie du groupe, mais ceux qui étaient restés avaient également du talent. J’ai donc grandi, biberonné et accompagné par ces belles mélodies. Le hasard du destin et de ma trajectoire professionnelle a bien voulu que je rencontre mes idoles d’enfance: Nkotti, Toto Guillaume, Ekambi Brillant et que je noue avec eux des relations personnelles voire amicales. Aujourd’hui je parlerai de Nkotti François, Desto, le maire de Bonalea, le président de sous-section ABO Sud B, le membre suppléant du Comité central du Rdpc, etc.
Tout en poursuivant sa carrière musicale, Nkotti est piqué par le virus de la politique et devient président de comité de base dans son Souza natal, ce terroir qu’il a tant aimé et qu’il a célébré en 1984 dans une chanson devenue mythique, « Na ma timba Souza ». En même temps qu’il grave sa voix sur les microsillons de vinyle, il creuse son sillon en politique et gravit les échelons. Après le comité de base, il devient président de sous-section en 1999 et trois ans plus tard, maire de Bonalea en 2002. Je fais partie de la même cuvée dans ma région de l’Est. Ce concours de circonstances nous rapproche. Mes responsabilités de Directeur des organes de presse, de l’information et de la propagande au Secrétariat général du Comité central lui permettent d’avoir des entrées dans le « saint des saints ». Mais Nkotti est un militant de terrain, pas activiste ou un intrigant. Il croit à la force du travail et à l’adhésion des populations. Très régulièrement, il organise des conférences de sous-section et me fait l’honneur et l’amitié de m’y inviter pour présenter des exposés aux militants. Mon plaisir est d’autant plus grand que ce sont des moments où l’utile se mêle à l’agréable; la politique et la culture, l’art musical notamment, s’entrecroisent, se mélangent et s’embrassent alors à coups de sonorités dans une ballade enjouée et une symphonie merveilleuse. En maître de cérémonie, Desto est au four et au moulin, entouré et soutenu par ses collègues de la politique et de la culture. J’y ai croisé Ekambi, Bella Njoh, Guillaume Tell et ses « bulldozerines », ces danseuses au gabarit impressionnant mais aussi lestes et souples que leur physique imposant. Le clou du spectacle c’est la montée sur scène du président de sous-section-maire sous les acclamations d’un public conquis. Sans oublier les inévitables séances de « farotage » avec le Préfet du Moungo en tête de file. Quelle apothéose!
Quel final!
Joseph Charles Doumba, secrétaire général du Comité central de 1992 à 2007, se serait exclamé « quel final » !! Chaque fois que le Parti organisait des galas culturels, il prescrivait à ses collaborateurs: « soignez le final; je ne dis pas la finale mais le final ». Les plus curieux parmi nous découvrirent alors que le final (avec un e à la fin dans sa déclinaison italienne) est la dernière partie d’une œuvre musicale. Et le très sérieux Joseph Charles Doumba passait en revue les artistes programmés, à la recherche de celui capable d’offrir un final digne de ce nom. Son choix se porta une fois sur l’immense Nkotti et ils ne se quittèrent plus. Je revois la scène et les images à chaque spectacle, le 24 mars ou le 6 novembre. Nkotti fait son entrée, entonne « Black Style Mwasa » et à la fin de son tour de chant « s’écroule » littéralement sur le plancher, les bras en croix, après plusieurs gestes des mains repris par l’orchestre. Un ballet visuel et sonore qui monte crescendo et s’achève brutalement par une orgie de décibels rythmés par les cuivres, les rugissements des guitares et les roulements des cymbales. Et Joseph Charles Doumba se retournait vers nous, les yeux embués de larmes de joie et s’exclamait: « vous avez vu le final? Vous avez vu? Il n’y a que Nkotti pour nous offrir un tel final ». Jamais je n’ai vu le ministre Doumba aussi heureux qu’en ces moment-là.
En 2011, au cours du Congrès ordinaire, Nkotti est devenu membre suppléant du Comité central désigné par le Président national Paul Biya. Cette évolution méritée ne plaisait pas à tout le monde: en 2013, il perdit son poste à la mairie à l’occasion des présélections internes mais resta au conseil municipal. En 2020, sa tentative de devenir député ne fut pas plus heureuse. Troisième sur la liste dans la circonscription du Moungo-Est malgré sa popularité et les suffrages recueillis dans son arrondissement, il n’aura que ses yeux pour pleurer, victime de la proportionnelle; un danger qu’il avait vu venir sans pouvoir l’écarter. Ce ne fut pas faute d’avoir essayé. En politique comme en musique, il peut y avoir de fausses notes car une vedette de la musique comme Desto à l’Assemblée nationale, cela aurait valu le détour! Qu’à cela ne tienne, même si la politique n’a pas comblé toutes ses attentes, lui en retour a toujours su apporter à ses camarades et au public cette joie de vivre et cet air de fête lors des grands événements du Parti. Un grand animateur, un grand musicien, un grand militant a tiré sa révérence. Rideau! Adieu Desto, adieu Monsieur le Maire, adieu Monsieur le Président et membre suppléant du Comité central, adieu cher camarade! J’imagine le final que tu offriras à Joseph Charles Doumba si vous vous rencontrez là-bas.
Christophe Mien Zok