L’article 62, alinéa 2, de la Constitution prévoit que la loi peut prendre en considération les spécificités de certaines Régions en ce qui concerne leur organisation et leur fonctionnement”. Le statut spécial est donc un mécanisme institutionnel qui renforce l’unité et la cohésion nationales, en reconnaissant les spécificités de certaines régions. Ces spécificités peuvent être linguistiques, éducatives, juridiques, culturelles ou autres. L’État, en reconnaissant ces spécificités par le biais du statut spécial, facilite une meilleure intégration desdites régions au sein du pays.
Le Titre V de la loi nº 2019/024 du 24 décembre 2019, stipule que les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, ont un statut spécial, conformément aux dispositions de l’article 62 de la Constitution. Mais ça c’est ce que dit la loi. En termes plus simples, qu’est-ce donc le statut spécial ?
Le statut spécial est simplement la reconnaissance formelle et/ou institutionnelle par l’État du Cameroun, des spécificités linguistiques, historiques, éducatives, juridiques et même culturelles uniques aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. C’est admettre que ces spécificités les rendent différentes des huit autres régions du Cameroun. Mais parce que l’État veut que ces spécificités constituent des facteurs d’unité avec les huit autres Régions plutôt que de division, il a concédé et reconnu ces spécificités à ces deux Régions. Ceci se traduit par le fait que l’État a accordé quelques pouvoirs supplémentaires aux Régions du NO et du SO que les huit autres Régions n’ont pas. Ainsi, les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest pourront se sentir à l’aise dans leur différence, tout en s’intégrant mieux au reste du pays. Le statut spécial est donc un compromis entre les partisans d’un système centralisé et les défenseurs d’une plus grande autonomie locale ou régionale. C’est un facteur d’unification et non de division.
En plus de ce qui précède, le statut spécial est une réponse directe à un certain nombre de griefs anglophones de longue date. Certains de ces griefs ont récemment été remis sur le devant de la scène par les revendications des enseignants et des avocats, ce qui a déclenché la crise sociopolitique actuelle dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Le statut spécial est donc une concession majeure de l’État faite aux anglophones, car il s’agit d’un changement radical de position. De la négation de l’existence de ces griefs, le gouvernement est passé courageusement à leur acceptation et à la recherche des réponses concrètes. Cette nouvelle diposition de l’État camerounais devrait être plus fortement reconnue et appréciée.
Le statut spécial est une réponse directe à certaines réclamations de longue date formulées par les ressortissants des régions anglophones. Il s’agit, entre autres :
De la réclamation liée à la perte de la tradition parlementaire anglo-saxonne et à la faible participation à la prise de décisions ayant un impact direct sur leur vie
Contrairement aux huit autres régions, le statut spécial a institué une organisation et un fonctionnement spécifiques des deux régions anglophones. Ces deux régions ont une Assemblée régionale bicamérale élue. La Chambre haute est composée de représentants de départements, pendant que la Chambre basse est constituée de l’Assemblée des Chefs. Il s’agit d’une référence directe à l’arrangement constitutionnel de 1961 pour l’ancien Southern Camerooons, lui-même inspiré des Chambres des Communes et des Lords du Royaume-Uni. La prise de décision au sein de l’organe exécutif est collégiale, et la navette entre les deux chambres permet d’enrichir le débat, d’élargir les consultations et de parvenir à un consensus.
De la réclamation relative à un mauvais traitement et à une mauvaise prestation de services dans les services publics
L’une des raisons de la création du conciliateur public indépendant est de donner aux usagers des services administratifs municipaux et régionaux des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest la possibilité d’un recours en cas de plaintes concernant la qualité des services fournis. Le PIC est également là pour veiller à ce que les administrations régionales et municipales maintiennent des normes professionnelles, d’éthiques et déontologiques très élevées. Ils veilleront à ce que ces services fonctionnent de manière équitable, juste et impersonnelle. Le PIC est donc également le protecteur des droits des usagers ordinaires des services de l’administration municipale et régionale.
De la réclamation relative à la dilution du sous-système éducatif anglo-saxon
Au début de la crise sociopolitique actuelle, le syndicat des enseignants a demandé la protection de la “pureté” du sous-système éducatif anglo-saxon. Le statut spécial est une réponse à cette doléance. Elle permet aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest de participer à l’élaboration des politiques nationales relatives au sous-système éducatif anglo-saxonne dont il est question ici. Le statut spécial a donc institutionnalisé et garanti la protection de ce sous-système éducatif. En clair, aucune réforme du sous-système éducatif anglo-saxon n’est désormais possible au Cameroun, sans la participation des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. C’est même au-delà de ce que les enseignants ont revendiqué.
De la réclamation relative au sous-développement, au développement inégal ou à la marginalisation dans le développement des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest
Le statut spécial permet aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest de créer et de gérer des organismes de développement régional tels que MIDENO, SOWEDA, UNVDA, WADA, Chambres de Commerce, etc. Les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest peuvent donc désormais planifier de manière autonome leur développement socio-économique en fonction de leurs priorités. Ils peuvent investir leurs ressources dans les domaines de leur choix, et jouer ainsi un rôle décisif dans leur développement. C’est un retour au modèle de développement autonome anglo-saxon. Il s’agit également d’une réponse aux griefs formulés à l’encontre de l’État, quant à la fermeture des organismes de développement tels que les Chambres de Commerces, le WADA, etc.
De la réclamation relative à la création et/ou à la délimitation arbitraire de chefferies traditionnelles sans tenir compte de l’histoire et de la coutume
Grâce à ce statut spécial, les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont désormais statutairement habilitées, notamment par le biais de la Chambre des chefs, à participer à l’élaboration du statut des chefferies traditionnelles. L’État a donc concédé le pouvoir de créer, classer et délimiter unilatéralement les chefferies traditionnelles.
De la réclamation relative à la dilution du système juridique de « Common Law » Les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest peuvent désormais être consultées sur l’élaboration des politiques relatives aux questions juridiques dans le sous-système de « Common Law ». Certains pensent que l’utilisation du mot « PEUT » affaiblit considérablement ce pouvoir. Mais dans le même temps, aucune disposition du Code général des collectivités territoriales n’interdit aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest de donner un avis, de leur propre initiative. Dans la situation socio-politique actuelle, il serait très difficile pour l’État d’ignorer toute proposition émanant des représentants des régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, en cas de réforme du sous-système de « Common Law ».
Il s’agit pour l’Etat, dans sa capacité de contrôle, de faire une concession importante au profit des régions en question. Cette mesure essentielle leur garantit le droit d’être écoutés, en cas de consultations comme l’exige la loi, ou s’ils décident, de leur propre initiative, de faire des propositions.
Il en va de même pour la possibilité donnée aux deux Régions de participer à la gestion des services publics développés sur leurs territoires respectifs.
De la réclamation relative à l’impossibilité de révoquer des fonctionnaires élus impopulaires, incompétents ou corrompus
Pour les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, le code général des collectivités territoriales a donné un grand pouvoir aux assemblées régionales. Elles peuvent démettre le Conseil exécutif régional de ses fonctions par destitution sous certaines conditions. Il convient de relever ici que les huit autres Régions ne disposent pas d’une telle option. L’exercice la démocratie directe par le peuple, à travers ses représentants constitue un pouvoir considérable.
CONCLUSION
Le statut spécial n’est donc pas seulement une grande concession, mais aussi un grand privilège accordé, pour le moment, par l’État aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest uniquement. Rien n’empêche les huit autres Régions de bénéficier elles aussi du statut spécial. Mais pour l’instant, l’État ne l’a attribué qu’aux régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Cette situation rend, à juste titre, les huit autres Régions envieuses.
Malheureusement, pour l’instant, certains dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont choisi de se concentrer sur les limites du statut spécial, au lieu de tester l’étendue des pouvoirs qui leur sont conférés par cet arrangement institutionnel.
Il est très important pour ces deux Régions de se réjouir du fait qu’elles sont les seules à bénéficier de ce statut spécial pour l’instant, et d’en profiter pleinement. Ce n’est qu’alors qu’elles pourront éventuellement en connaître les limites, et éventuellement demander des ajustements.
De plus, le fait d’être des régions pionnières à statut spécial leur permet en réalité de déterminer son contenu par la pratique, car c’est une grande première au Cameroun. Perdre du temps en développant des critiques stériles autour du statut spécial, c’est courir le risque de voir cette fenêtre d’opportunités se refermer. Ainsi, les avantages à tirer du statut spécial à l’heure actuelle, pourraient disparaitre si d’autres régions venaient un jour à en bénéficier.
- Directeur General de Nasla
Présentation à l’occasion de la 2ème session ordinaire du comité de suivi de la mise en œuvre des recommandations du Grand dialogue national, Nasla- Buea, le 22 septembre 2021.
Par Tanyitiku Enohachuo Bayee*