Le grand Charles de Gaulle prétendait que « en général, les hommes intelligents ne sont pas courageux.» Affirmation aussi sentencieuse qu’inexacte car toute règle a des exceptions. Prenez le cas de Joseph Dion Ngute, le premier ministre, chef du gouvernement du Cameroun, qui a achevé la semaine dernière une visite de quatre jours dans la Région du Nord-ouest. Peut-on dire de lui qu’il manque de courage? Lui qui, deux semaines auparavant, était à Buéa et qui a préféré aller à Bamenda non pas par hélicoptère mais par la route, malgré l’état de celle-ci? Peut-on dire qu’il n’est pas courageux, lui qui a pris le risque de s’exposer aux tirs des séparatistes? Il en fallait, du courage, de la volonté et de la détermination, pour entreprendre pareil voyage dans un contexte de recrudescence de la violence et des attaques contre les forces de défense et les symboles de l’Etat. Mais la foi peut soulever des montagnes. En tant qu’émissaire du Président Paul BIYA et convaincu des vertus du dialogue, le premier ministre a donc pris, une fois de plus, son bâton de pèlerin pour aller prêcher la paix aux populations du Nord-ouest. Il est venu, il a vu, il a été intimidé par les tirs d’armes à feu mais il a tenu bon. A-t-il vaincu et convaincu ses interlocuteurs venus nombreux à sa rencontre malgré les appels au boycott? L’avenir nous le dira. Quoi qu’il en soit, il leur a tenu le langage de la vérité au cours des audiences, des séances de travail ou des discours publics.
En attendant, relevons, outre le courage physique, l’intelligence d’esprit de l’émissaire du Président Paul BIYA qui a délibérément choisi de placer sa visite sous le signe de la vérité. Depuis le déclenchement de la crise dans ces deux régions, on a rarement entendu des propos aussi crus et véridiques. Des vérités complètement aux antipodes des discours et des déclarations empreintes d’hypocrisie que certains se plaisent à colporter avec complaisance depuis des années. Qu’a-t-il donc dit de si extraordinaire?
1) Certains l’ont peut-être oublié: DION NGUTE est un enseignant et un universitaire. Il a donc eu recours à la pédagogie pour rétablir certains faits historiques que la propagande sécessionniste tend à travestir et à déformer. Ainsi, dans une délicate improvisation, il a déclaré que la partie anglophone du Cameroun n’a jamais été indépendante. Il a rappelé qu’en 1961, la question qui était posée lors du référendum était de savoir si les populations du Southerns Cameroon voulaient un rattachement au Cameroun oriental [qui était devenu indépendant le 1er janvier 1960] ou ou Nigeria. Jamais, il ne fut question d’indépendance. Et de poser la question: « peut-on restaurer ce qui n’a jamais existé? » On attend la réponse de ceux qui veulent réécrire l’histoire. Dans son élan, il a également précisé qu’à la conférence de Foumban en 1961, personne n’avait été trompé, contrairement à une thèse colportée depuis des décennies par certains anglophones de mauvaise foi.
2) En dehors de ces rappels historiques axés sur la raison, le fil conducteur du discours du Premier Ministre s’adressait davantage aux cœurs et aux sentiments de ses interlocuteurs. Tantôt en pidgin, tantôt en anglais oxfordien, il a interpellé les chefs, les élites, les parents. « Dans notre culture et nos valeurs, est-il normal de donner naissance à des enfants pour les tuer plus tard ? » Cela s’appelle un infanticide. Il n’y a pas d’autre terme pour qualifier ce qui se passe dans cette région où les parents laissent les enfants aller en brousse faire la guerre et font semblant de ne rien voir et savoir. Il a poursuivi: « Est-ce dans notre culture et nos traditions de construire des maisons, de les brûler ensuite pour aller vivre en brousse à la merci des serpents, des moustiques et des intempéries? » À chacune de ces questions, l’auditoire a longuement applaudi, preuve d’une adhésion à ce discours de la vérité. On attend maintenant de voir les résultats concrets sur le terrain.
3) Quant au Premier Ministre, il peut être satisfait, comme Ulysse, d’avoir effectué un voyage fructueux, malgré les risques, les menaces et les intimidations. C’est une preuve supplémentaire que le Président Paul BIYA reste constant et fidèle à l’option prise dès le départ, à savoir privilégier le dialogue et la main tendue tout en restant ferme sur le maintien de l’ordre et la protection des biens et des personnes. Entre l’illusion, l’hypocrisie, les faux semblants et les contrevérités, Chief DION NGUTE a choisi la vérité sans fards ni filtres. La paix est sans doute à ce prix. Et il faut à la fois du courage et de l’intelligence pour choisir une telle voie qui est loin d’être la plus facile.