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L'Editorial

Le miroir aux alouettes

C’est l’histoire d’un marchand fortuné qui était allé voir une diseuse de bonne aventure. Celle-ci l’informa qu’il avait rendez-vous avec La Mort le jour-même. Terrifié, il avait demandé à la femme ce qui se passerait, mais celle-ci ne pouvait rien lui dire. Le commerçant rentra alors précipitamment chez lui, enfourcha son cheval le plus rapide et partit à bride abattue vers une destination inconnue pour échapper à La Mort. Lorsque le fidèle serviteur du commerçant arriva au marché sans son Maître, La Mort se pencha et lui demanda où était passé ce dernier. Le pauvre serviteur, qui pouvait sentir l’haleine fétide et nauséabonde qui s’échappait de la bouche de La Mort, répondit en tremblant comme une feuille: il est parti pour vous échapper. La Mort éclata de rire; un rire sardonique capable de vous glacer le sang et il dit calmement au serviteur: je le retrouverai partout où il se trouve.
Toutes proportions gardées, on peut établir un parallèle entre cette histoire et les drames de l’émigration que le Chef de l’Etat a fustigés récemment dans son dernier message à la jeunesse. De nombreux jeunes camerounais sont prêts à tout pour partir à l’aventure en Europe ou en Amérique; le Canada étant le nouvel eldorado. Ils prétendent s’exiler pour échapper aux mauvaises conditions de vie, au chômage, à la dictature mais, sans même atteindre le paradis de leurs fantasmes, ils ont très souvent rendez-vous avec la mort. Un rendez-vous inéluctable. Certes quelques-uns atteignent leur objectif mais combien périssent en cours de route? Les déserts et les océans sont devenus leurs cimetières mais ils sont toujours nombreux qui cherchent à partir.
Les adeptes de la facilité ont tôt fait de pointer un doigt accusateur sur les régimes africains et leurs tares congénitales en matière de gouvernance ou de non-respect des droits de l’homme. Arguments fondés et recevables en partie. Hélas, ce que ces donneurs de leçons refusent de voir, c’est aussi la nouvelle mentalité des jeunes africains et leur éblouissement, leur avilissement face aux lumières et aux sirènes de l’occident. Le bonheur est parfois à portée de main. Il suffit seulement de tendre la main, de faire un petit effort, de travailler, pour le saisir.
Les dirigeants africains ne sont pas exempts de tout reproche mais ils peuvent bénéficier de circonstances atténuantes. En effet, leurs homologues européens ou américains ne font pas non plus des efforts pour équilibrer les relations de domination et les systèmes de production ou d’exploitation qui régissent le monde depuis la nuit des temps. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, il n’y a aucune fatalité. Il est encore possible d’inverser la tendance. À condition que les gouvernants redoublent d’efforts pour la mise en œuvre des politiques publiques plus favorables aux jeunes et que ces derniers ne cèdent pas aussi facilement à la tentation du départ et au mirage d’un ailleurs idyllique mais trompeur. L’exil à tout prix et à tous les prix est un miroir aux alouettes autour duquel la mort rôde. Gare à celui qui se laisse piéger.

Par Christophe Mien Zok

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