Employés et employeurs, salariés et dirigeants, travailleurs et patrons, ont, le temps d’une journée, mis entre parenthèses leurs différends et leurs divergences pour célébrer, main dans la main, la 138ème édition de la Journée internationale du Travail. La terminologie officielle parle bel et bien de journée mais au Cameroun, dans les esprits, les discours, les intentions et les actes, la journée est vécue et célébrée comme une fête. Alors, la journée du 1er mai 2024 n’a pas échappé à la règle et à une tradition bien établie. Partout où cela était possible et nécessaire, des défilés, des réjouissances ont été organisés; des discours ont été prononcés sur les acquis, les avancées ou les obstacles relevés dans la mise en œuvre du thème retenu: « dialogue social constructif, facteur de promotion du travail décent et de progrès social ». La célébration aura donné du travail et permis à quelques secteurs d’activités d’améliorer leur chiffre d’affaires: le textile malgré les difficultés de la Cicam, les sérigraphes, les couturiers, les restaurateurs, le secteur brassicole, des vins et des spiritueux, etc. La fête était belle; rendez-vous l’année prochaine pour la célébration de la 139ème édition!
Faut-il vraiment blâmer ceux des dirigeants et des travailleurs camerounais qui ont fait de la journée internationale du travail une fête lorsqu’on connaît les difficultés à trouver un emploi stable, décent et bien rémunéré quel que soit le pays? À travers le monde entier, le travail décent tend à devenir une denrée rare. Depuis plusieurs décennies, la problématique du chômage ou de l’emploi est devenue une préoccupation majeure des politiques publiques. Aucun gouvernement, aucun parti politique, au pouvoir ou aspirant à y accéder, ne peut rester indifférent face à cette réalité qui oriente les votes des électeurs, détermine le choix des dirigeants et conditionne la stabilité et la sécurité des États. Au-delà de ce branle-bas et de cette prise de conscience qui relèvent du domaine régalien, la dimension philosophique du travail n’échappe à personne: pourquoi les États, les gouvernements, les partis politiques, les sociétés et les communautés accordent-ils tant d’importance à la promotion du travail et la lutte contre le chômage?
D’abord parce que le travail éloigne de nous trois grand maux: le vice, l’ennui et le besoin. Vu sous ce prisme, il reste incontestablement un trésor dans toutes les acceptions de ce terme car il procure richesse, satisfaction matérielle et épanouissement individuel. Ensuite, parce que le travail assure la prospérité et le développement des individus, de la société et des États. Un pays où les gens ne travaillent pas n’a aucun avenir. Enfin parce que le travail est un facteur d’équilibre social voire d’équité: chacun mangera à la sueur de son front et le parasitisme diminuera.
À côté de cette approche vertueuse et utilitariste si du travail, il en existe malheureusement une autre largement répandue au Cameroun qui perçoit le travail comme une contrainte, un fardeau, une corvée, une aliénation. Le rêve ultime des adeptes de ce courant de pensée est bien connu: si on pouvait avoir un salaire à la fin de chaque mois sans travailler! Ils sont très nombreux à penser de cette manière et les conséquences sont désastreuses: absentéisme chronique, retards perpétuels, mauvaises pratiques au service, corruption, tâches mal ou pas du tout effectuées, inertie, régression, déclin et déclassement du pays, etc.
Au lendemain de la célébration de la 138ème journée internationale du travail, les travailleurs, les employés et les employeurs camerounais, du public comme du privé, qui ont la chance et le privilège d’avoir un emploi rémunéré ne doivent pas seulement aimer les trésors, les richesses, les avantages et les bénéfices que procure le salaire. Ils doivent également aimer leur travail, si ingrat et modeste soit-il, comme un vrai trésor intérieur, une source de joie et de gratification. La devise pour chaque travailleur devrait alors s’inspirer de ces paroles de Martin Luther King: «si la destinée a voulu que vous soyez balayeurs de rue, alors balayez comme Michel Ange peignait ses tableaux, comme Shakespeare écrivait sa poésie, comme Beethoven composait sa musique. Balayez les rues si bien que même longtemps après vous, les hôtes du ciel et de la terre devront s’arrêter pour dire: « ici a vécu un grand balayeur des rues, qui faisait bien son boulot. »
Hélas, il y a encore beaucoup de…travail pour que cette vision soit partagée par le plus grand nombre!