La vie continue certes son cours normal; l’actualité, elle, ne s’arrête jamais et poursuit sa course folle jonchée par une alternance de bonnes et de mauvaises nouvelles, de faits divers macabres et d’informations réjouissantes. Mais au hit-parade de l’horreur et de la barbarie, l’assassinat de l’animateur radio Martinez Zogo hantera longtemps la mémoire et l’imaginaire collectifs des Camerounais. Une dizaine de jours après cet acte d’une cruauté et d’une bestialité inhumaines, ce crime odieux domine toujours les conversations dans les quartiers et alimente les colonnes des journaux autant que les contenus des réseaux sociaux et des émissions des chaînes de radios et de télévision.
La légèreté et la gaudriole habituelles des Camerounais là où s’impose une certaine gravité, les polémiques entre les communautés, la tribalisation, les tentatives maladroites de récupération ou les accusations faciles et fallacieuses n’y changeront rien: cet assassinat est inacceptable et inadmissible dans un pays où le président de la République a proclamé depuis des décennies qu’il n’est pas nécessaire de prendre le maquis pour exprimer ses idées ou défendre ses opinions. La liberté de la presse étant une réalité au Cameroun, point n’était besoin de recourir à une telle extrémité pour réduire au silence un animateur radio, même s’il se prenait pour Zorro le justicier.
En effet, sous prétexte de dénoncer les tares de l’administration et les travers de la société, certains hommes de médias excellent depuis des années dans le lynchage public de personnalités et de citoyens ordinaires, parfois sans preuves et en violation de l’éthique et de la déontologie professionnelles. Les rappels à l’ordre et les sanctions du Conseil national de la communication ne les effraient même plus. Pour autant, ces dérives et ces dérapages ne justifient en rien l’élimination brutale et violente de Martinez Zogo. Il est donc rassurant de constater, pour les saluer, tous les actes de compassion et de réconfort posés par le ministre de la Communication en direction de la famille du défunt ainsi que la volonté clairement affichée par les autorités et les pouvoirs publics pour élucider cet assassinat afin que justice soit faite.
Toutefois, les gesticulations et les tentatives de manipulation et de récupération observées depuis la disparition de l’animateur jusqu’à la découverte de son corps mutilé et torturé ne doivent pas occulter certains aspects du débat de fond qu’impose à la société cette tragique et macabre actualité. Ce débat peut être résumé en deux questions: entre la justice républicaine et la justice populaire, quel est le choix des Camerounais? Entre les juges et les justiciers, à qui va notre préférence? Ces questions méritent d’être posées quand on sait que le jour où le corps de Martinez Zogo a été découvert, un ancien entraîneur de football a perdu la vie au terme d’une course folle avec les conducteurs de motos-taxis qui le poursuivaient pour avoir heurté et tué l’un des leurs. On imagine le sort qui lui aurait été réservé s’il avait été attrapé vivant. En voulant fuir la mort, il a certes échappé à un lynchage public mais, ironie du sort, il a quand même trouvé la mort.
Voilà les dérives d’une société qui ne fait plus confiance à ses institutions et à ses organes de régulation sociale. Lorsque des animateurs de radio, des influenceurs, des hommes ou des femmes de médias détruisent sans vergogne la réputation de certains citoyens sur les ondes, les colonnes des journaux et dans les réseaux sociaux, lorsque les « bendskinneurs » recourent à la justice et à la vengeance populaires, nous devons nous indigner de la même manière. L’indignation ne doit pas être sélective. Puisse la vérité être établie sur les circonstances de la disparition ignoble de Martinez Zogo et que justice soit rendue au tribunal, dans la sérénité. Loin de la fureur, du tumulte médiatique, des imprécations et des incantations des Zorro et des justiciers auto-proclamés qui pullulent dans notre société. Les médias ont beau être un contre-pouvoir, ils ne constituent pas (encore) une juridiction et ne sauraient par conséquent se substituer à la justice. Laissons nos institutions fonctionner et que chacun fasse bien sa part de travail. Pour paraphraser le Pape François, la majorité des camerounais – pas seulement la famille de Martinez Zogo et les journalistes – ont faim et soif de justice.