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L'Editorial

Le temps des régions :

La première session de l’année législative 2019 s’achève ce mercredi au Sénat et à l’Assemblée nationale.

Au terme des trente jours de travaux, les parlementaires ont adopté plusieurs projets de lois dont les plus emblématiques concernent sans doute la mise en place des Régions. Depuis l’adoption de la constitution de 1996 et la promulgation des Lois d’orientation de 2004, les Camerounais attendaient avec impatience la mise en place des Régions, deuxième étage, et pas des moindres, de la « fusée » de la décentralisation. Les deux textes examinés et adoptés au cours de cette session illustrent le coup d’accélérateur promis par le Président de la République dans son discours de fin d’année. 
 
Les élections régionales pourraient donc se tenir au courant de cette année 2019. En tout cas, les conditions légales sont désormais réunies même si les lois doivent encore être promulguées et certaines dispositions complétées par décret. Bémol supplémentaire: l’opposition fait déjà un procès d’intention au pouvoir en le soupçonnant de vouloir tirer profit de son très grand avantage numérique dans les conseils municipaux pour organiser les régionales avant les municipales prévues cette année également. Le pouvoir sera-t-il sensible à ces arguments et à leur côté moral et éthique? Au-delà de l’éthique et de la morale, un scrutin peut aussi servir à l’apaisement, malgré les joutes verbales et les chocs programmatiques.
 
Sur le terrain, plus ou moins attentifs à ces arguments et au calendrier, les futurs protagonistes n’ont cure de ces débats: ils se préparent activement. Plus qu’un frémissement on perçoit en effet un réel enthousiasme doublé d’un grand engouement. A juste titre car le tournant de la mise en place des Régions constitue une étape cruciale du processus de décentralisation en cours dans notre pays. La situation dans les Régions du Nord-ouest et du Sud-ouest constitue à suffisance un indicateur et un baromètre des attentes, fortes et légitimes, des populations dans ce domaine. Voici donc venu le  temps des Régions. Mais l’enthousiasme et l’engouement ci-dessus évoqués ne garantissent pas que les mêmes erreurs commises lors de la mise en place des conseils municipaux ne seront pas reconduites. A commencer par le choix des hommes et des femmes devant siéger au sein des conseils régionaux. Par le passé, les considérations électoralistes, le favoritisme, le népotisme, le copinage ont parfois pris le pas sur la compétence, le mérite, l’engagement ou le dynamisme. La faiblesse des ressources humaines aussi bien au sein des organes délibérants que des exécutifs municipaux explique en partie les performances insuffisantes de ces collectivités territoriales décentralisées. Si les mêmes erreurs sont reconduites au moment de la mise en place des conseils régionaux, cette tare congénitale pourrait plomber durablement leur fonctionnement. 
 
Malgré ces réserves et ces mises en garde, les Régions sont les bienvenues comme collectivités territoriales décentralisées dans notre paysage institutionnel. Pourvu que la vision et la volonté du Président de la République ne soient pas, une fois de plus, obstruées par les manigances et les intérêts corporatistes des membres de la techno-structure. Peut-on parler de décentralisation effective lorsque des fonctionnaires chargés de mettre en œuvre un projet politique aussi ambitieux pensent d’abord à la protection de leurs propres intérêts et petits avantages? Peut-on parler de décentralisation effective quand il y a centralisation excessive des ressources financières? Peut-on réellement parler de décentralisation lorsque les magistrats municipaux doivent négocier, c’est un euphémisme, le déblocage des maigres et rares ressources qui leur sont allouées?
 
La récente mise en place d’un compte séquestre à la BEAC pour la sécurisation des centimes additionnels communaux résume à elle seule la situation: solution à court terme d’un problème dont l’issue reste incertaine. Peut-on enfin parler de décentralisation effective lorsque les populations elles-mêmes semblent davantage se complaire dans un rôle de spectateurs et non d’acteurs?Tels sont quelques-uns des défis qui interpellent les Camerounais à l’heure de la mise en place attendue des Régions. Et les fonctionnaires en poste aujourd’hui ont intérêt à éliminer tous ces goulots d’étranglement et ces postes de péage qu’ils créent sur le chemin des collectivités territoriales décentralisées. Demain, ils seront les premiers à se ruer sur les starting-blocks pour être candidats au sein de ces conseils. Espérons que personne ne leur fera de l’esprit en leur rappelant le dicton: « qui crache en l’air… »

Christophe MIEN ZOK

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