L’avocat au barreau du Cameroun et spécialiste du droit de la
communication, explore les contours des sorties littéraires de Marafa
Hamidou Yaya, ainsi que leur implication dans la procédure en cours.
A Quelle appréciation générale faites-vous des trois lettres ouvertes de Marafa Hamidou Yaya ?Jean Pierre Manyim : Je dois d’abord dire qu’on ne se défend pas devant la presse, on se défend devant les instances judiciaires. On peut exprimer ce qu’on pense, ou ce qu’on fait, à travers la presse. Mais la défense elle-même, se fait devant la justice. Nous avons un personnage qui est en train d’intervenir à travers des lettres ouvertes. La lettre ouverte est en même temps destinée à son destinataire et au public. Elle n’a donc pas de relation entre une personne à une autre. Lorsque j’analyse ce processus, je dois dire que la personne qui est détenue a droit à l’expression, elle a droit de parler. Même la constitution de notre pays lui accorde ce droit aux citoyens. Mais il ne faut pas faire d’amalgame parce que je suis autorité publique, que ce soit dans l’exercice de mes fonctions, ou après l’exercice de mes fonctions. Il y a un certain nombre de choses que je peux porter à la connaissance du public, d’autres pas. C’est cela le devoir de réserve. Ce devoir incombe à la personne publique, dans l’exercice de ses fonction et qui va au-delà ; à la retraite on est toujours tenu par ce devoir parce qu’il y a un temps pour parler. J’ai l’impression que les fonctions qui s’expriment en ce moment ne semblent pas respecter ce devoir de réserve, qui a un fondement légal parce que ce n’est pas une affaire qu’on invente. C’est le statut de la Fonction publique qui l’instaure. C’est donc en fait ce que je relève en premier lieu. En second lieu, nous avons des gens qui sont en prévention préventive, autrement dit, ils sont encore en information judiciaire. Lorsqu’on est en information judiciaire, la loi actuelle même l’ancienne vous dira que la personne qui est poursuivie est présumée innocente. Mais il faut qu’on comprenne ce que ça veut dire, on n’est pas plus libre en prison que lorsqu’on est libre hors de la prison. Ce n’est pas parce je me retrouve en information judiciaire que je vais me sentir plus libre. Donc ça se comprend ; on a l’impression que ce qu’on n’a pas pu dire pendant qu’on était libre, en fonction, on peut déjà le dire quand on est en prison. Ce n’est pas la présomption d’innocence. Elle veut simplement dire que la personne qui est poursuivie ne doit pas être traitée comme une personne déjà condamnée. Alors je constate que ces gens qui s’expriment à travers les médias, ont également des documents, des pièces qui viennent soutenir ce qu’ils disent. Vous qui êtes fonctionnaire, lorsque vous partez de votre poste c’est-à-dire que vous ne travaillez plus, généralement il vous est loisible de porter avec vous vos effets privés. Les affaires, les dossiers de l’Etat restent pour l’Etat.Le fait qu’ils soient en possession de ces documents pourrait avoir quel effet ?Les documents appartiennent à l’Etat. On ne peut pas les utiliser sans l’autorisation du propriétaire qui est l’Etat. Vous avez donc une infraction dans le code pénal qu’on appelle détention illégale des documents, c’est-à-dire que vous utilisez les documents dont vous n’êtes pas propriétaire.En un mot ça veut dire que le fait de les utiliser pourrait engendrer d’autres poursuites judiciaires…Tout à fait. Ça peut être des poursuites connexes à l’infraction principale. Je ne peux pas me prévaloir d’un document qui est confidentiel, secret c’est ainsi la législation camerounaise. Elle est bonne, elle est mauvaise, c’est autre chose. Mais vous n’aviez plus le droit de posséder les documents de l’Etat lorsque vous n’êtes plus en fonction. Quelle pourrait être l’incidence de toutes ces lettres sur l’information judiciaire en cours ?C’est aussi simple que cela. Ces documents peuvent être même pertinents mais du seul fait que vous les détenez sans l’autorisation du propriétaire, vous ne pouvez pas vous en servir et vous en prévaloir. Par exemple, certains journalistes ont été condamnés parce que la présentation de ces documents devant le juge était illégale. La question qui se pose est celle de savoir comment ils se sont retrouvés en possession de ces documents qui ne vous appartiennent pas. Ne peut-il brandir l’argument selon lequel il était membre du gouvernement ?Même le planton à qui on demande de partir, ne prend que ses effets personnels et s’en va. Le courrier qu’il a reçu ou qu’il a initié n’est pas le sien, c’est pour l’Etat. Il ne peut donc pas s’en servir. Je ne peux pas me servir de ce qui ne m’appartient pas. Le fait de rendre public ce genre de document est une déformation. Dans les procédures je ne serais pas surpris que, bien qu’on accepte ce document à la phase d’information devant le jugement il soit mis en cause.Par ailleurs en parcourant toutes les lettres qui ont été produites par M. Marafa Hamidou Yaya, est-ce qu’on pourrait penser à un appel à l’insurrection ?Je vous ai dit que la lettre ouverte a cette particularité que la personne qui l’émet clame non seulement son innocence, mais prend le peuple à témoin. Ce n’est plus un document confidentiel entre deux personnes. Et en langage judiciaire, le témoin c’est celui qui a vu et entendu. Or dans le cas présent, le peuple pris à témoin, ne sert à rien, puisqu’il n’était pas là lorsque les choses se sont passées. Ce n’est pas possible au sens légal du terme. Est-ce que cette abondante littérature ne pas influencer l’attitude des magistrats en charge de ce dossier ?Il peut arriver que le magistrat arrive chez lui et que quelque chose se soit passée dans la chambre des enfants tout à côté. C’est le dossier qu’on lui apportera qui le renseignera sur les faits. Et c’est celui-là qu’il considérera. Il n’a même pas à faire à la connaissance privée du dossier. De ce point de vue, on peut faire confiance aux magistrats. L’environnement c’est autre chose, le procès ce sont les éléments qu’on verse au dossier au moment de l’instruction. En tant qu’avocat, je ne peux pas venir parler des choses qui ne sont pas dans le dossier. Il ne saurait y avoir des influences de quelque nature que ce soit, j’en doute fort.
Interview: Longin Cyrille Avomo et William Monayong.