«À chacun son tour chez le coiffeur ». Tout le monde ou presque connaît cette expression qui peut être utilisée en cas d’événement heureux ou malheureux. Alors que l’attention et l’intérêt des Camerounais sont focalisés sur les élections régionales du 6 décembre 2020, scrutin qui, pour une bonne majorité d’entre eux, pourrait être déterminant dans la recherche de solutions au conflit en cours dans le Nord-ouest et le Sud-ouest, c’est le moment que choisit le Président de la République française pour donner quelques conseils-ou des leçons-à son homologue camerounais. Dans une récente interview au magazine panafricain Jeune Afrique où il distribue les bons et les mauvais points à certains dirigeants africains, Emmanuel Macron « invite le Président BIYA à effectuer des gestes d’ouverture. Lui aussi doit préparer le renouvellement et pacifier son pays, d’autant qu’il a un autre défi beaucoup plus grand: celui de l’avancée de Boko Haram ». Inutile de dire que de nombreux Camerounais, allergiques à toute tentative d’ingérence ou de mépris de leur souveraineté, n’ont pas du tout apprécié cette sortie du Président français. Pour la plupart d’entre eux, les hommes politiques et les médias français se permettent chez nous ce qu’ils ne tolèrent pas chez eux. Les plus sarcastiques n’hésitent pas à affirmer que « les Français se montrent forts avec les faibles et faibles avec les forts ».
En effet, depuis que Emmanuel Macron a déclaré la guerre au « séparatisme religieux » dans son pays, la classe politique et certains médias français sont à couteaux tirés avec une partie de la presse américaine. Les premiers reprochent aux seconds la manière dont l’actualité française est couverte par les médias américains régulièrement accusés de « contresens hâtifs et de contorsions sémantiques ». Au centre des malentendus et des incompréhensions, la notion de laïcité à la française que certains organes de presse des Etats-Unis, par mauvaise foi et dans un raccourci qui leur est propre, assimilent au racisme et à la ségrégation contre les musulmans. Les dirigeants français ont beau protester et clamer sur tous les toits que la guerre contre le séparatisme religieux signifie lutte contre l’islamisme en non contre l’Islam, le malentendu perdure. Au grand dam des autorités et des médias français qui exigent « le plus strict respect des valeurs républicaines de la France comme nation souveraine ». Pour leur part, les représentants des médias américains impliqués dans cette polémique se défendent de vouloir imposer un modèle à la France mais, en même temps, ils qualifient l’attitude française de « nombriliste » et considèrent volontiers les réactions françaises de « bêtises, foutaises, conneries ».
Cette passe d’armes par médias interposés montre bien que chaque pays souverain est soucieux voire sourcilleux quant au regard qu’autrui pose sur lui. Au-delà, chaque pays a le droit d’être fier de sa souveraineté et jaloux du respect de ses valeurs. Quand les médias et la classe politique français s’offusquent de l’amalgame entretenu, consciemment ou non, par les médias américains entre islamisme et islam, ils oublient qu’ils excellent dans ce domaine dans leurs relations avec les autres. Comme la France, le Cameroun par exemple a bien le droit de lutter contre le séparatisme ou les sécessionnistes anglophones mais combien de fois les médias français usent de métonymie et accusent les pouvoirs publics camerounais de persécuter les anglophones en général, victimes de marginalisation?
« Ne faites pas aux autres ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse », dit l’adage. Telle pourrait être la morale de cette fable des temps modernes sur la relation entre États. Il y en a qui sont convaincus que leurs valeurs sont au-dessus de celles des autres et que tous les moyens sont bons pour les imposer. Dans cette bataille des egos et de souveraineté, chacun a son tour chez le coiffeur un jour. Autrement dit, il y a toujours plus puissant ou plus faible que soi; chacun a sa gargouille, son souffre-douleur, son repoussoir. Pour autant, les « faibles » ont bien le droit d’exprimer de temps en temps leur incompréhension, leur mécontentement voire leur ras-le-bol face aux fréquents gargouillements et aux remontrances injustifiées des puissants. Un proverbe de la forêt dit que le doigt du faible ne se brise pas du seul fait qu’il a indexé plus fort que lui.