Le sujet est assez délicat. Et pour cause, il concerne le Président de la République, notamment le trafic d’influence exercé en son nom et la manière dont certains hauts responsables se défaussent sur lui pour ne pas assumer leurs devoirs. Le phénomène prend de plus en plus de l’ampleur à la faveur des revendications qui structurent et secouent la société camerounaise depuis quelques temps. Une localité est-elle enclavée? Les populations et forces vives du coin font le maximum de bruits et posent une seule question: « le Président Paul BIYA est-il au courant de nos malheurs »? Le réseau électrique alimentant un village ou une ville est-il défectueux et les délestages deviennent-ils plus fréquents? La question rituelle fuse comme une ritournelle: « le président est-il au courant que nous broyons du noir »? Les consommateurs se plaignent-ils de la hausse des prix des produits de première nécessité? Ils embouchent les trompettes de l’indignation et de la colère pour interpeller le Président de la République. « Est-il seulement au courant de nos misères »? Les enseignants lancent-ils un mot d’ordre de grève pour revendiquer plus de célérité dans le traitement de leurs dossiers d’intégration ou de prise en charge salariale? Leurs revendications et leurs interpellations s’adressent naturellement au « Président de la République qui n’est pas certainement au courant de leur situation. » Un chantier de construction accuse-t-il un retard considérable dans son exécution? La raison est toute trouvée: « le Président de la République ne doit pas être au courant ».
On peut ainsi multiplier à l’infini des exemples qui illustrent à suffisance cette tendance à vouloir tout imputer ou ramener au Président de la République. À l’heure de l’accélération et à l’ère de l’approfondissement de la décentralisation, ce recours permanent à la figure tutélaire du Président de la République peut susciter des interrogations voire des inquiétudes. Il est vrai qu’à force de le citer à tort et à travers, on a fait croire à l’opinion populaire qu’il avait des solutions à toutes les demandes et à toutes les attentes. En réalité, il est difficile de reprocher ou de blâmer ces différentes catégories de Camerounais qui interpellent ainsi le Chef de l’Etat au quotidien. Elles le font sans doute de bonne foi, parfois excédées et exaspérées, mais convaincues que les solutions à leurs problèmes viendront plus vite de « là-haut » et non « d’à-côté ». Par contre, cette tendance au « centralisme », à la concentration et ce tropisme qui pousse les populations dans le besoin vers le seul Président de la République devraient alerter et inquiéter tous les échelons hiérarchiques, les strates administratives et les responsables qui sont ainsi court-circuités et abandonnent leurs prérogatives dont ils sont pourtant si jaloux en termes d’avantages et de privilèges. Où sont-ils? Que font-ils? À quoi servent-ils finalement? Pourquoi n’anticipent-ils pas pour trouver des solutions à ces multiples et légitimes sollicitations des populations? Est-ce du ponce-pilatisme, de l’incompétence, de l’inconscience ou une volonté d’exposer le Président de la République de la part de toute cette chaîne de responsables qui sont censés résoudre ces problèmes au jour le jour? Certes, d’après la Constitution, le Président de la République est la « clé de voûte des institutions »; élu au suffrage universel direct, il a des comptes à rendre aux électeurs en particulier et au peuple souverain en général. Mais cela ne signifie nullement qu’il peut et doit tout faire. Qui peut le plus peut le moins mais le travail du Président n’est pas de se substituer ou d’effectuer les tâches de ses collaborateurs, des ministres, des parlementaires, des Maires, des directeurs généraux et des agents publics.
Le Président de la République, qui ne saurait être le bouc émissaire des turpitudes, de l’inertie et des défaillances de certaines personnes, doit évidemment être au courant de tout ce qui se passe dans le pays, de bon ou de mauvais, mais de temps en temps, il a aussi besoin que d’autres lui servent de fusibles, de disjoncteurs ou de paratonnerre en faisant tout simplement leur travail, tout leur travail et rien que leur travail. Ils sont d’ailleurs payés pour ça.