La création récente par le président de la République d’un ministère délégué à la présidence chargé des marchés publics devrait induire une profonde révision du dispositif règlementaire en vigueur.
Depuis la publication du décret n°2011/408 du 09 décembre 2011 portant organisation du gouvernement, la spéculation va bon train sur le système camerounais des marchés publics. C’est la conséquence de la création et du rattachement à la présidence de la République, de tout un département ministériel spécialement chargé de ce secteur particulièrement sensible. Et le débat ne manque pas de pertinence, puisqu’il vise à éclairer l’opinion sur le sort réservé au dispositif actuel, le changement intervenu n’étant pas tout à fait banal.Principale innovation du décret présidentiel susvisé, l’avènement du ministère délégué à la présidence chargé des Marchés publics et son institution comme l’unique responsable du lancement des appels d’offres, de l’attribution des marchés et du contrôle de leur exécution dans le cadre du budget de l’Etat, des collectivités territoriales décentralisées ainsi que des entreprises du secteur public et parapublic appelle une question fondamentale : que deviennent les autres acteurs du système ?L’importance et la pertinence de cette question tiennent à trois faits : il existe un code des marchés publics qui avait, dans ses dispositions, confié les mêmes attributions à d’autres acteurs comme les maîtres d’ouvrages et maîtres d’ouvrages délégués, l’agence de régulation des marchés, le premier ministre, etc. Si de toute évidence, les dispositions nouvelles devraient abroger toutes les dispositions antérieures contraires, il va de soi qu’il sera difficile de tout abroger, certains acteurs, comme le régulateur qu’est l’Armp ou l’autorité chargée des marchés, ne pouvant pas disparaitre complètement de la circulation. Enfin si ces acteurs-là doivent nécessairement exister, quel peut être leur niveau d’intervention, quand on sait qu’en réalité, le rattachement du ministère des Marchés publics (Minmap) à la présidence signifie que désormais c’est une attribution que s’octroie le chef de l’Etat et que le vrai chef de ce département ministériel c’est bien lui. Or, au sein de l’exécutif, il n’existe aucune autre instance qui soit, par la constitution, habilitée à réguler le travail du président de la République.Repenser la régulationIl va donc sans dire que beaucoup de choses vont être précisées dans les prochaines semaines. A commencer par l’organisation du ministère en charge des Marchés publics : celle-ci, qui est conçue par un groupe d’experts sous la coordination du tout nouveau ministre délégué Abba Sadou, devrait donner plus de visibilité et de lisibilité sur la manière dont le Minmap va procéder concrètement pour lancer tous les appels d’offres du pays, attribuer à lui tout seul et en temps réel tous les marchés et s’assurer en même temps de leur bonne exécution physique sur le terrain. Déjà il est fait état de propositions de transformation des différentes commissions spécialisées actuellement logées dans les services du Premier Ministre en directions centrales du nouveau ministère, lequel devrait également disposer de coordinations territoriales et départementales, chargées d’effectuer localement toutes les opérations du Minmap, sans que l’on soit obligé de transporter tous les dossiers à Yaoundé. Toutes choses qui sont de nature à éviter une complexification des procédures déjà jugées lourdes. Il va falloir également déterminer clairement qui est l’autorité chargée des marchés, étant entendu que le Premier Ministre qui est actuellement désigné par le code des marchés ne saurait logiquement rester autorité d’un secteur d’activité relevant de la compétence du président de la République, sauf délégation expresse. Dans le même ordre, le rôle des maitres d’ouvrages sera reprécisé. Il se pourrait bien qu’il se limite désormais à la préparation des projets et la saisine des commissions compétentes, puis à la transmission des éléments de la procédure au Minmap, à la signature des contrats, une fois le marché attribué par le Minmap, et au paiement des prestations réalisées sur leurs budgets respectifs.Par ailleurs, il faudra repenser le système de régulation. Il n’est plus évident que celle-ci fonctionne dans sa forme actuelle, car qu’il n’est pas envisageable qu’un établissement public administratif puisse s’ériger en contrôleur d’une procédure menée de bout en bout par le président de la République, ou un responsable placé directement sous son autorité, et, le cas échéant, lui intimer l’ordre d’arrêter ou d’annuler une procédure comme le faisait jusque-là l’Armp.Tous ces changements logiques ne peuvent s’opérer qu’à travers une révision expresse du dispositif règlementaire en vigueur, en l’occurrence le décret portant code des marchés publics, le décret portant organisation des services du premier ministre, le décret portant création et organisation de l’agence de régulation des marchés publics qui pourrait être supprimée ou voir ses missions redéfinies dans le sens de l’allègement de la régulation par rapport aux activités du Minmap ainsi que son administration de rattachement reprécisées et d’autres textes pris en application de ces trois principaux décrets. En attendant toutes ces clarifications, il va bien falloir que les services publics fonctionnent ; que les projets et programmes inscrits dans le budget de l’Etat au titre des grandes réalisations du président de la République se réalisent pour que tous les objectifs fixés en ce début de septennat soient atteints. Une période transitoire n’est donc pas à exclure. En effet, certaines procédures vont être conduites sous le régime juridique actuel, à l’effet d’éviter les blocages pouvant compromettre la bonne exécution des projets de développement du Cameroun.
Longin Cyrille Avomo