Pour le politologue, chargé de cours à l’université de Yaoundé II à Soa,
Marafa doit prouver son innocence avant de se consacrer, libre, à la
conquête du pouvoir. Il jette également un regard sur le mode de
communication de l’ex-ministre d’Etat.
L’Action : L’actualité politique est, entre autres, dominée par les lettres de l’ancien ministre d’Etat Marafa Hamidou Yaya, au chef de l’Etat, Paul Biya. Quel regard jetez-vous sur ce mode de communication ?Dr Simon Pierre Mfomo : Tout en vous remerciant d’avoir voulu recueillir mon point de vue sur une note d’actualité de Monsieur Marafa, note voulue critique sur ce code électoral récemment promulgué par le président de la République, et présentée sous la forme épistolaire, on pourrait dire à titre prolégoménal que tous ceux qui rêvent de l’émergence de l’Etat démocratique au Cameroun, ne peuvent que se féliciter de l’élargissement de l’espace public que suggère le mode de communication que vous évoquez. Au-delà de la participation politique à travers les réseaux sociaux, laquelle est une innovation du monde moderne, nous enregistrons là une forme de participation politique sui generis dévoilant les réflexions proposées par certains pénitenciers sur différents aspects de la vie politico-institutionnelle de notre pays, notamment « l’opération épervier », la gouvernance électorale et la question de la succession à la tête de l’Etat. Dans le même temps, il me semble que Monsieur Marafa qui devient le parangon de cette forme de communication, n’a toujours pas pris la mesure de la gravité des charges qui pèseraient sur lui, en l’occurrence le détournement des deniers publics destinés à l’achat d’un avion présidentiel qu’on évalue à plusieurs milliards de Fcfa. En attendant que la Justice saisie du dossier fasse toute la lumière sur cette affaire qu’il a, lui-même qualifiée de « scabreuse » et, le cas échéant, l’innocente, l’ancien ministre, s’il a jamais eu le sens de l’Etat et de l’honneur, gagnerait à faire profil bas (comme par exemple Monsieur DSK en France). Malheureusement, ses lettres à répétition, laissent penser que ses 17 années aux hautes fonctions de l’Etat n’auront pas suffi à lui inculquer la culture de l’Etat et du service public. Dans la mesure où, obnubilé par le pouvoir, il ne comprend toujours pas que lorsqu’on est convaincu de vénalité, on perd toute crédibilité pour prétendre assurer les charges publiques. La privatisation du patrimoine public, c’est l’antithèse par excellence de l’Etat de droit. Elle représente politiquement dans ce contexte pour tout acteur socio-politique, la pierre tombale. Il doit donc prouver devant le juge (et non sur Internet ou par des tracts) son innocence afin de se consacrer, libre, à la conquête du pouvoir. Monsieur Marafa a tout de même en expert, formulé un certain nombre d’observations sur le code électoral. Que lui répondez-vous ?S’agissant des observations, du reste superfétatoires par rapport aux enjeux véritables du code, de monsieur Marafa qui revendique étonnamment le monopole du discours (légitime) sur les questions électorales, on pourrait apporter des précisions utiles à sa compréhension peu conforme et peu confortable de certaines dispositions du code électoral qu’il critique ;Sur la délivrance du récépissé présenté comme corruptogèneIl est à rappeler que le récépissé d’inscription délivré à l’électeur est utile à ce dernier dans le cadre du contentieux préélectoral relatif aux inscriptions. Il ne saurait, à l’ère des inscriptions biométriques, favoriser les votes multiples et, fausser par-là, la transparence ou la Justice électorale. Sur le vide juridique concernant l’article 74 (al2)Disons tout simplement que le manquement constaté par l’ancien minatd, procède d’une interprétation enfermée dans le carcan des « Lampions allumés », puisque, avec le recul nécessaire, l’on peut, à partir d’une explication soucieuse de respecter l’esprit et la lettre de la disposition visée, relever que l’article sus-spécifié, en disposant qu’en cas de refonte, le directeur général des élections peut proroger la période prévue à l’article 74 al 2 pour une durée n’excédant pas trois mois, emporte attribution de compétence en matière de fixation des délais relatifs au travail technique préélectoral lié à la publication des listes électorales, lequel le cas échéant, ne relève plus du législateur. A propos de l’arrêt de la campagne à l’avant-veille de l’électionCette proposition relève du mimétisme institutionnel, à rapprocher au flagrant délit de vol des idées imputable à Monsieur Marafa dans sa tentative intellectuellement malhonnête et paresseuse, de transposer au Cameroun, une analyse valable pour la société française, analyse exposée par Monsieur Alain Peyrefitte dans son ouvrage « La société de confiance » publiée en 1995. Or, ce n’est pas parce qu’on fait quelque chose ailleurs que le Cameroun devrait s’y aligner obligatoirement, sans dialectique. Il convient, au préalable, de montrer en quoi l’inobservance d’une règle, comme l’arrêt de la campagne électorale à l’avant-veille du scrutin, nuirait à la tenue d’élections libres, justes, transparentes… Pas simple.Il faut donc en convenir avec le juriste consult Sieyes que : « Urbi societa », « Ibi Jus », où il y a société, il y a droit. C’est dire que c’est la société qui secrète le droit qui est du reste, à l’image de celle-ci. Malheureusement, les critiques formulées, d’une manière générale, sur le code électoral camerounais, n’intègrent pas les spécificités économiques socio-politiques et socio-anthropologiques du Cameroun. Pourtant, s’il existe un « jus Congens » international sur la gouvernance électorale, celui-ci doit éviter de revêtir la forme d’une perruque institutionnelle qui pourrait s’avérer : soit trop grande, soit trop petite pour le Cameroun. C’est dire que les principes nomiques de la gouvernance électorale vertueuse défendus par les acteurs influents du consensus de Washington, poseront toujours chez nous, comme ailleurs, le problème de leur adaptabilité.S’agissant du vote du code électoral par voie référendaireL’ancien ministre auto-proclamé « spécialiste des questions électorales » fait du référendum, parce que celui-ci bénéficierait du préjugé consensuel, la voie idoine pour le vote du code électoral, tout en confondant consensus et unanimité.D’abord, il est utile de savoir que l’option pour la voie parlementaire, ou celle référendaire, intègre plusieurs rationalités, dont les rationalités financières et technocratiques, entre autres. Sur quelle base l’ancien ministre fonde-t-il alors son choix ? On ne sait.Ceci dit, nous sommes dans un Etat polyarchique, lequel induit l’implication d’acteurs multiples dans le processus décisionnel. Dans le domaine qui nous concerne ici par exemple, outre les acteurs du « dedans » (gouvernement, partis politiques, Elecam, société civile prodémocratique…), l’on observe symétriquement une mobilisation d’acteurs dominant les espaces internationaux et transnationaux globalisés du consensus de Washington. Ce faisant, en étant avisé de ces éléments pragmatiques qui traduisent, entre autres, l’affaiblissement de la puissance publique en tant que commandement, l’on ne saurait soutenir, sauf à avoir une perception bien ciblée du consensus, la thèse d’un code électoral camerounais non sensensuel, sous le fallacieux motif qu’une certaine opposition parlementaire, par ailleurs coutumière de la logique de la chaise vide pour exister, a boycotté les délibérations finales de la loi n°2012/001 du 19 avril 2012 portant code électoral. On se doit à la vérité de reconnaître, d’une part, que la validation du code visé n’a pas été rectiligne. Elle a été précédée plutôt d’une négociation politique entre différents acteurs (locaux et transnationaux), œuvrant tous pour l’amélioration de la gouvernance électorale au Cameroun, dans le cadre de plusieurs espaces de concertation initiés par Elecam et le gouvernement, notamment en vue de l’harmonisation des législations électorales existantes. D’autre part, ce code qui a par ailleurs fait l’objet de vives discussions parlementaires marquées par l’affirmation de l’autonomie de la représentation nationale, laquelle a imposé 300 amendements, intègre les propositions essentielles formulées dans les rapports des observateurs électoraux sur le déroulement de la dernière présidentielle ; mais aussi celles des citoyens-électeurs (la limitation du droit à la candidature en vue d’éviter le piège des démocraties électorales cosmétiques, ou ce que Patrick Quentin appelle des « Elections pas comme les autres » ; la réforme d’Elecam dans le sens de la définition d’une hiérarchie claire entre l’organe de direction et le conseil électoral…)Pour conclure sur la demande du référendum, il est tout compte fait, ahurissant de constater que « l’expert en questions électorales » s’insurge encore contre le rejet de sa proposition faite en violation de la loi organisant le référendum qu’il a lui-même défendue devant l’Assemblée nationale en son temps, laquelle a été intégrée dans le code électoral harmonisé en son article 197 qui limite les matières pouvant être soumisses à la consultation référendaire ainsi qu’il suit :Des projets de loi portant organisation des pouvoirs publics ou révision de la constitution,Des projets de loi tendant à la ratification des accords ou des traités internationaux présentant, par leurs conséquences, une importance particulière ;Certains projets de réforme portant sur le statut des personnes et le régime des biens ;Vous avez dit ignorance, ou mépris des lois de la République ? Les deux assurément, si l’on considère l’arrogance affichée par un homme au moi hypertrophié par l’ambition. Monsieur Marafa, au regard de toutes les insuffisances relevées plus haut, devrait alors s’inscrire à l’école de Platon pour qui : « la politique relève de la science (épistèmê) et non d’une technique (la pétrolière par exemple). Elle renvoie à un savoir et non à l’opinion. La possession du savoir vrai autorise celui qui le détient à commander. La science politique fonde l’autorité politique, tel le pilote impose son autorité absolue à ceux qui ne savent pas… »Monsieur Marafa se dit porteur d’un projet fondé sur « les exigences de paix et de justice » et demande au chef de l’Etat de « laisser les Camerounais choisir leurs représentants et leurs dirigeants »…C’est le plagiat de la politique du président Paul Biya. Marafa aurait donc « un projet pour la paix et la justice », qui pourrait le croire, venant de quelqu’un soupçonné d’avoir confondu les caisses de l’Etat avec ses comptes privés. Mais, les exigences de paix et de justice sont déjà, depuis des lustres, au centre de l’action politique du président Paul Biya.En effet, pour nous appuyer sur un passé récent, lorsque ce dernier, du haut de la tribune du palais des Congrès, à l’occasion du dernier Congrès extraordinaire du Rdpc, annonce, sous les applaudissements nourris des congressistes, y compris Monsieur Marafa, membre du Bureau politique de ce parti, que : « ceux qui se sont enrichis au détriment du trésor public, vont devoir rendre-gorge, sans discrimination aucune », de quoi s’agit-il d’autre ?Sinon que de combattre les inégalités, afin de préserver la paix sociale dans notre pays et protéger le patrimoine public ? Et c’est justement au nom de ces exigences de justice et de paix que l’ancien ministre a été traduit devant la Justice camerounaise. Nous sommes là dans l’action, non dans l’affichage fétichiste. Monsieur Marafa a un devoir de vérité. Il doit dire aux Camerounais à quoi ont servi les fonds publics alloués à l’achat de l’avion présidentiel. A cet égard, l’affirmation surréaliste de son ambition présidentielle au travers de ses lettres au chef de l’Etat, reste une vaine tentative de dérobade, puisqu’elle ne lui confère aucune forme d’immunité pénale, d’autant plus que son actuelle situation a fini par abimer son image en tant qu’autorité publique. L’on peut, au travers de ses déclarations à l’emporte-pièce, observer que monsieur Marafa éprouve décidemment beaucoup de peine à suivre le rythme des changements imprimés à la vie politique du Cameroun par un chef d’Etat qui, dès sa prise de fonction, a introduit la pluralité de candidatures et aboli les investitures dans le choix de représentants du peuple, que ce soit au niveau du parti unique, que ce soit à celui de l’Etat.De ce point de vue, les déclarations ci-après sur France 24 le 30 octobre 2007, illustrent la constante du président Paul Biya à s’en remettre au libre choix des Camerounais : « nous avons fait tous ces efforts pour bâtir une démocratie. Le moment venu, il y aura des candidats et je crois que l’idée de préparer quelqu’un, cela relève de méthodes proches de la monarchie ou de l’oligarchie. Les Camerounais sont assez mûrs, ils pourront choisir, le moment venu… Je crois que dans une République, le mot « dauphin » résonne mal ». En ânonnant cette conception biyaienne de la dévolution du pouvoir dans sa lettre, celui que ses amis de Jeune Afrique (ils n’ont toujours pas annoncé son arrestation), ont intronisé comme « dauphin présumé » de Paul Biya, peut-être sur ses confidences, avoue sa profonde tristesse et projette sur le Cameroun ses propres inquiétudes, en programmant le chaos après lui. Drôle de manière de démontrer son patriotisme, que celle d’accrocher celui-ci, à l’exercice du pouvoir présidentiel. Comment donc, en travestissant sans vergogne la vérité des faits, le « dauphin présumé » réussira-t-il à rabibocher le désenchantement qui le ronge et la tempérance patriotique et républicaine qui est l’apanage des hommes d’Etat ?Dans sa lettre ouverte aux Camerounais, monsieur Marafa Hamidou Yaya écrit : « j’ai été mis sous mandat de dépôt au motif vague de « détournement de deniers publics en coaction et complicité ». Je ne sais ni quand ce détournement a eu lieu, ni sur quoi il porte, ni de quel montant il s’agit, ni qui en est l’auteur principal, ni quels sont les complices ». Comment réagissez-vous à cette autre sortie de l’ancien ministre d’Etat ?L’acte III de la tragi-comédie de monsieur Marafa est une autre figure de sa vaine tentative de construction de l’axiomatique de la victime politique pour sa défense.Dans ses deux premières sorties, l’ancien ministre a essayé de taquiner le président de la République, élu au suffrage universel, personnage clé du fonctionnement des institutions républicaines, et en raison de cette importance de son rôle et de son statut, le garant de l’indépendance de la magistrature, la séparation des pouvoirs, autre garantie constitutionnelle de ladite indépendance, impose dans le contexte camerounais, la règle de la spécialisation. Laquelle suppose que chaque pouvoir étatique exerce une fonction, toute cette fonction, et rien que cette fonction. Le chef de l’Etat, chef de la fonction exécutive, ne saurait par conséquent, s’immiscer dans l’exercice de celle juridictionnelle. Encore moins des « Camerounais » (amis de Marafa ?), ou même l’opinion publique que le détenu enfiévré et amnésique, cible par ignorance, comme instance judiciaire dans sa troisième lettre. Mais si l’ancien ministre respecte les Camerounais, il devrait respecter l’institution judiciaire qui justement, rend la justice au nom du peuple Camerounais tout entier, et s’en remettre à la sagesse des juges. Lesquels, ne relèvent dans « leurs fonctions juridictionnelles que de la loi et de leur consclence ». C’est dire l’inanité dans le contexte camerounais de justice institutionnelle, du recours à la justice populaire de nature ponce-pilatiste.En définitive, la stratégie de monsieur Marafa Hamidou Yaya connote à la fois : des éléments de son ignorance de la vie institutionnelle de notre pays, comme on vient de le montrer ; mais aussi, de sa constance dans la perfidie et la mauvaise foi. Notamment lorsqu’il feint d’ignorer : les motifs de sa mise sous mandat de dépôt, « quand le détournement e coaction et complicité a eu lieu, sur quoi il portait. Alors même qu’on lui a signifié les incriminations auxquelles il doit répondre dans le cadre de l’affaire « Ministère public et Etat du Cameroun contre Atangana Mebara Jean Marie, Otélé Essomba Hubert, Mendounga Jérôme, Fotso Yves Michel et autres ».Par ailleurs, si le prévenu Marafa, ne savait rien à rien, comme il écrit, il attendrait sereinement d’avoir des informations plus précises à son goût sur les motifs de sa détention préventive, devant la justice qui l’y a placé.Or, c’est en parfaite connaissance des faits de la cause, puis qu’il dit lui-même avoir demandé au chef de l’Etat d’aller s’en expliquer devant les juridictions compétences, que l’ancien Minatd s’échine dans sa lettre aux Camerounais, à démontrer son innocence.Sans anticiper sur l’issue du procès, on peut penser que l’activisme abracadabrant de monsieur Marafa, rassure de moins en moins sur son innocence par rapport à son implication dans les faits incriminés. Mais pas seulement, si l’on considère aussi ses ennuis avec la justice helvétique où l’on a parlé d’escroquerie au détriment du Cameroun et de sa compagnie aérienne… Alors, parole à la justice. Interview : Benjamin Lipawing