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Rio+20 : Fossé entre espoir et pouvoir

La conférence de Rio n’a pas donné les résultats escomptés. A cause des pays développés qui ont eu peur de s’engager, au risque de fragiliser leurs économies. Mais tout espoir n’est pas perdu, malgré la valse de critiques.

Maxime Charles-Pierre, prêtre haïtien, curé de la paroisse Marie mère de Dieu de Nova Iguaçu à Rio, n’a pas eu de mots assez durs pour décrire l’attitude des « pays riches » à la conférence des Nations unies sur le climat. Devant ses fidèles venus nombreux ce dimanche 24 juin où l’on célèbre en grande pompe ici la fête de la Saint Jean Baptiste, il s’est écrié en portugais : « Rio+20 était un grand espoir pour nous tous. C’était un moment important pour l’avenir de l’humanité, dans ce monde tourmenté par les inondations et la sécheresse qui font de milliers de victimes chaque année. Mais les puissants de ce monde ont transformé ce grand espoir en grand désespoir. Ils ont sacrifié l’être humain à l’autel des intérêts économiques, stratégiques et géopolitiques. » Ce ressentiment est largement partagé à Rio, non seulement auprès des Brésiliens qui sont conscients des efforts faits par leur gouvernement pour organiser cette conférence, mais aussi dans les milieux des organisations non gouvernementales, qui sont tout aussi déçues. Les plus virulents sont les plus connus, Greenpeace, Oxfam et WWF, qui ont d’ailleurs rejeté en bloc la déclaration finale adoptée par les Etats. Au cours d’un point de presse conjoint mercredi 20 juin 2012, alors même que les chefs d’Etat commençaient leur réunion, ces ONG ont  estimé que le document final est « Complètement décalé des réalités, et les organisations non gouvernementales présentes à Rio, refusent de cautionner pareil document. » C’est un texte « Sans ambitions, qui ne prend pas en compte les questions essentielles, notamment la fin de tout appui aux énergies fossiles et nucléaires ou la destruction des fonds marins, pis encore, aucune référence n’est faite sur l’éventuel engagement de la société civile », soutient Barbara Stocking, la directrice générale d’Oxfam. A côté de ces gros calibres, plusieurs activistes ont donné de la voix, allant jusqu’à organiser une grande marche de protestation au deuxième jour de la conférence, à Flamengo où ils s’étaient retranchés. « Dans un monde où nous vivons tous, la nature n’a pas de prix. L’économie est au service des gens et non le contraire », avance Noe, une manifestante portugaise enceinte de 7 mois ; « La conférence a démontré l’irresponsabilité de beaucoup sur l’avenir de la planète. Ils sont venus à Rio pour défendre les intérêts de leurs gouvernements. Les populations sont prises en otage, kidnappées par ces puissances,  pour sauver leurs économies et le système financier », a pesté quant à elle Nora Clark, une manifestante anglaise. « De toutes les façons, nous continuerons à batailler et à mobiliser pour des objectifs plus nobles, notamment une économie solidaire, une énergie mixte et propre, une agriculture familiale plus efficace, l’autosuffisance alimentaire, la santé, l’accès à tous les droits pour tous, une meilleure distribution des richesses, la lutte contre le racisme et d’autres formes d’intolérance », a déclaré Marcelo Duaro de la Brazil Landless Movement, une organisation bien installée au Brésil.Face à cette tension perceptible jusqu’à Riocentro où se tenait la conférence, plusieurs délégations officielles ont choisi de plier bagages dès le jeudi soir. C’est le cas de la France, de l’Allemagne ou du Japon qui n’étaient plus là pour écouter Hilary Clinton, la secrétaire d’Etat américaine, arrivée à Rio très tôt le dernier jour de la conférence, flanquée de 200 agents des services secrets chargés de sa sécurité. Elle est venue défendre son pays, accusé par beaucoup d’avoir volontairement fait échouer la conférence. Pour elle, avec plus de 20 milliards de dollars injectés pour le développement durable dans les pays en voie de développement, notamment les pays africains, les USA n’ont pas de quoi pâlir. Sur la défensive aussi, Karl Falkenberg, le chef des négociateurs de l’Union européenne et directeur général de l’environnement à la Commission de l’UE. Pour lui, le texte final de Rio « Est un bon document. Certes, ce n’est pas celui qui reflète complètement les ambitions que nous portions, car nous avons du faire des dû compromis et harmonisé les positions. Ceci dit, de bons messages émergent de ces positions communes, notamment celui du rôle du développement durable, l’économie verte et la création d’emplois décents dans la lutte contre la pauvreté. »Réalités Les Américains et les Européens n’ont vraiment pas de quoi pavoiser. Le Programme des nations unies pour l’Environnement, PNUE, a dévoilé à Rio les résultats obtenus depuis 20 ans. Dans seulement 4 objectifs sur 90, les experts du PNUE ont pu enregistrer des progrès qualifiés de «significatifs». Parmi ceux-ci, on retrouve la suppression du plomb dans les carburants dans presque tous les pays, la quasi élimination des substances qui détruisent la couche d’ozone ou bien un meilleur accès à l’eau potable, même si 2,6 milliards de personnes n’ont toujours pas accès à des services d’assainissement de base. Quelques progrès ont été également accomplis en ce qui concerne la déforestation qui est passée de 16 millions d’hectares dans les années 1990 à 13 millions d’hectares entre 2000-2010.En revanche peu de progrès, voire aucun, n’a été réalisé pour 24 objectifs. Ainsi, les émissions de gaz à effet de serre pourraient doubler d’ici 2050. Les experts soulignent aussi que les inondations ont augmenté de 230% entre 1980 et 2000 et les sécheresses de 38%.Des dégradations supplémentaires ont aussi été observées dans 8 objectifs, tels que la menace d’extinction pour 20% des espèces vertébrées ou une accélération de la dégradation des récifs coralliens. La gestion des déchets est aussi rendue difficile par l’augmentation de la consommation de matériaux non facilement biodégradables. « Les pays de l’OCDE ont produit en 2007, environ 650 millions de tonnes de déchets municipaux, dont le volume s’accroissait d’environ 0,5% à 0,7%  par an et qui comportaient de 5% à 15% de déchets électroniques », souligne à grand trait le PNUE.Rio+20 aura au moins le mérite d’avoir suscité une nouvelle conscience sur les questions environnementales. Elle s’appuie désormais non seulement sur les organisations non gouvernementales, mais surtout sur le peuple de la planète ; qui doit prendre en main son destin et ne plus se laisser dicter des comportements, au gré des intérêts des pays riches. Maxime Charles-Pierre, le prêtre de Nova Iguaçu, a là aussi eu la bonne formule : « Avez-vous besoin qu’on vous dise comment faire, chez vous, autour de vous, pour vivre sainement ? Chacun est désormais, et plus que par le passé, le gardien de notre environnement »
William Pascal Balla, envoyé spécial à Rio de Janeiro

William Pascal Balla

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