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L'Editorial

Débrouillardise :

L’avez-vous constaté ? On dirait que les maladies aussi obéissent au cycle de la vie : elles naissent ou apparaissent, grandissent ou se répandent puis s’essoufflent avant de disparaitre. 

Alors que le Cameroun et la communauté internationale célèbrent dimanche prochain, 27 janvier, la journée mondiale des lépreux, force est de constater, pour s’en féliciter, que la lèpre est une maladie en voie de disparition et d’éradication. Pour une infection qui disparait, combien de nouvelles apparaissent ?Au rang des nouvelles endémies qui minent la société camerounaise, on peut désormais citer la… débrouillardise : cela vous surprend n’est-ce-pas ? Certes, dans les discours, allocutions, séminaires, on ne parle que de corruption, inertie, incompétence, malveillance, détournements de fonds publics, etc. La saison des vœux en cours dans les administrations camerounaises ne l’évoque d’ailleurs presque jamais. Certes « débrouiller n’est pas voler »… Et pourtant, la débrouillardise sévit plus que jamais, semant désolation et consternation sur son passage. Quand et comment ce vocable jadis synonyme et vecteur des valeurs d’ingéniosité, d’inventivité, de dynamisme, d’habileté, de courage, d’efforts, d’ardeur au travail, a-t-il pris une connotation négative ? Difficile à dire. Toutefois, il est aisé de constater que la débrouillardise est devenue le prétexte de tous les abus, de tous les renoncements, de tous les laxismes.
 Au nom de la débrouillardise, on laisse l’anarchie et la confusion s’installer et régner dans de nombreux secteurs : les transports avec les motos-taxis et les « clandos », l’éducation avec des établissements clandestins, la santé avec des tradi-praticiens autoproclamés « docteurs »… 
Au nom de la débrouillardise, à l’école comme au travail, l’échelle des valeurs est inversée : les tricheurs, les fraudeurs, les voleurs sont portés en triomphe au détriment des travailleurs et des honnêtes.Au nom de la débrouillardise, de l’enrichissement illicite et du positionnement socio-politique, des pratiques occultes, des meurtres rituels, peuvent être commis et tolérés dans nos quartiers. Dans ce registre, aucune limite à la décence, aux bonnes mœurs, au respect de la vie humaine n’est respectée. Heureusement que les pouvoirs veillent au grain.
Au nom de la débrouillardise, des vendeurs à la sauvette et des commerçants peuvent se permettre d’occuper les chaussées et les trottoirs de nos villes pour étaler leurs marchandises, au mépris de toutes les règles d’hygiène, d’urbanisme et de circulation routière
Au nom de la débrouillardise, des agriculteurs peuvent se permettre de sécher les fèves de cacao ou du couscous sur le bitume, malgré les risques pour la santé des consommateurs. Résultat : mévente sur le marché international et perte de devises.
Au nom de la débrouillardise, l’Administration a créé la tolérance administrative, joli euphémisme pour désigner le laxisme, l’incapacité, les lenteurs, l’incompétence, l’opacité qui caractérisent les services publics. Dernière illustration en date : l’imbroglio qui règne dans le secteur de la câblo-distribution. Depuis plusieurs années, les opérateurs de ce secteur évoluent en marge de la réglementation – lorsqu’elle existe – et violent allègrement le droit de propriété pour distribuer des images qui ne leur appartiennent pas. Ils ont beau se réfugier sous le parapluie de la philanthropie et de la justice sociale au nom du « service public » de la télévision, il n’en demeure pas moins que leur principal argument demeure la débrouillardise. On va faire comment ? Puisqu’on se débrouille pour permettre aux ménages le plus démunis d’avoir accès aux images et aux télévisions satellitaires, on peut se permettre, au nom de la paix sociale, de (re)vendre la chose d’autrui, les images en l’occurrence, sans autorisation. Débrouiller n’est pas voler…
Aucun secteur n’est épargné. Depuis des années, les Camerounais souhaitent la professionnalisation de la pratique du football dans leur pays. La FECAFOOT et le ministère des Sports ont créé une ligue de football professionnelle à cet effet. Bizarrement, les présidents de clubs n’entendent pas abandonner l’amateurisme qui a toujours caractérisé le fonctionnement et la gestion de leurs clubs. Ils préfèrent le flou et la débrouillardise au professionnalisme. Conséquence : le championnat de football d’élite dont le démarrage était prévu ce week-end pourrait être reporté. Comment comprendre que des opérateurs privés du football qui ne se… privent pourtant pas de solliciter les fonds publics pour le financement de leurs activités refusent de se soumettre aux règles du professionnalisme, de la transparence et de la bonne gouvernance ? Ils agissent ainsi au nom de la débrouillardise, ce nouveau syndrome qui sévit dans les administrations et provoque des ravages au sein de la société camerounaise. Ce n’est pas le meilleur chemin vers la modernité, la performance ou l’émergence.  Aucun pays ne s’est développé en privilégiant le côté négatif de la débrouillardise, à savoir violation systématique de la loi, absence de règle, anarchie, indiscipline. 

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