Site Web Officiel du Journal L'Action
L'Editorial

La classe, pas la crasse! :

Il était une fois un pays où l’on savait rire de tout, y compris de soi-même; un pays où le rire était franc, sincère, contagieux malgré l’humour caustique, grinçant voire graveleux des propos.

Il était une fois un pays où l’auto-dérision semblait être une seconde nature; un pays où les vacheries, les conneries et les saillies les plus épouvantables étaient proférées sans méchanceté et sans émouvoir quiconque. Un pays où l’on pouvait se moquer de sa propre tribu et de celles des autres sans que personne ne crie au tribalisme. Jean Miche Kankan, Jimmy Biyong, Essindja Mindja doivent se retourner dans leurs tombes. Kouokam Nar6, Dave K. Moktoi et les générations actuelles d’humoristes ont intérêt à tourner leurs langues plus de sept fois dans la bouche avant de sortir le mot qui …tue…de rire. On rit de plus en plus jaune. Le rire a tendance à se transformer en rictus. L’humour n’est plus ce qu’il était. Les gros et méchants mots ont remplacé les bons mots pleins d’esprit, d’ironie et de dérision. C’était le Cameroun du 20ème siècle, autant dire au temps de la pré-histoire. 
 
La politique, à l’heure du numérique et à l’ère des réseaux sociaux, a désormais bouleversé la donne. Mieux, nous vivons une mutation. Les batailles électorales ne se font plus sur les tréteaux des meetings et pendant la campagne. Le nouveau terrain de jeu s’est déporté vers les réseaux sociaux qui sont devenus la boue, la gadoue et la fange dans lesquelles se vautrent les Camerounais, y compris l’Administration dont les documents y circulent à la vitesse d’un clic. Mais cela est un autre débat.Ce qui nous intéresse ici et maintenant c’est de savoir comment on est passé d’un humour bon enfant et des blagues sans conséquences à toutes ces injures, insultes et insanités qui charrient la xénophobie, la haine et le tribalisme le plus abject et le plus dangereux. Comment sommes-nous passés des gais et joyeux lurons d’hier à ces charretiers d’aujourd’hui qui excellent dans l’insalubrité langagière et manient l’insulte, l’injure, l’invective sans aucune élégance? Comment avons-nous sombré dans la violence verbale sur fond d’obscénités, de méchancetés parfois gratuites et de propos scatologiques?
 
Il faut bien le constater, la mort dans l’âme: nous avons transformé les réseaux sociaux en une arène, une grande cour de récréation et de transgression, de démolition et d’élimination. C’est à qui trouvera le mot le plus fort, le plus crasse, le plus grossier, le plus offensant ou l’image la plus humiliante, la plus dégradante, la plus blessante, la plus ordurière. La faute à qui? Pas à la technologie mais à nous-mêmes devenus des schizophrènes et des psychopathes derrière les claviers de nos téléphones et ordinateurs. Notre dessein, notre ambition, notre objectif se résume désormais à avilir l’Autre, surtout s’il n’est pas de notre tribu; à l’humilier, à le chosifier, à le teindre en noir, à l’éteindre si possible. La solution finale, pour utiliser une expression chère aux nazis, consiste à l’anéantir, à l’annihiler; à le TUER puisqu’on parle maintenant, sans crainte, sans tabou, sans scrupules et à forum ouvert de GENOCIDE comme on parlerait d’un vulgaire insecticide pour se débarrasser d’un moustique ou d’un insecte.
 
Voilà comment un peuple jadis rigolard, égrillard voire paillard au sens innocent de ces termes se retrouve en train de sécréter lui-même du fiel, du venin et du poison pour s’intoxiquer et se détruire. Voilà comment nous sommes passés de la rigolade à l’escalade verbale et, si l’on n’y prend garde, à la dégringolade qui nous tend affectueusement les bras. Nous y allons toutes sirènes dehors, le Klaxon au vent; la bêtise, la haine et la méchanceté en bandoulière. La dégringolade se terminera par une chute vertigineuse et fatale pour toute la nation. Les extrémistes et les radicaux de chaque communauté croient creuser la tombe et préparer les funérailles du camp-d’en-face ? Ils se trompent! Ils agissent plutôt de concert pour creuser la fosse commune qui ensevelira le pays tout entier. Ne restera plus qu’à trouver une belle épitaphe à inscrire sur la pierre tombale, du genre: « ci-gît un peuple rigolard, plein d’humour et bon vivant qui s’est suicidé à petit feu à l’aide d’un poison toxique inoculé à travers les réseaux sociaux par des tontinards et des sardinards ».  

Christophe MIEN ZOK

Articles liés