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Code général des collectivités territoriales décentralisées : Les explications de Manassé ABOYA ENDONG, Professeur Titulaire de Science Politique, Directeur Exécutif du Groupe de recherches sur le parlementarisme et la démocratie en Afrique (GREPDA), Université de Douala.

« Il est vicieux d’opposer le vivre-ensemble et la protection des droits des autochtones »

Il y a une controverse autour de l’article 246, alinéa 1 du Code général des collectivités territoriales décentralisées qui dispose que le maire de la ville est une personnalité autochtone de la Région de rattachement de la Communauté urbaine. Cette controverse a-t-elle lieu d’être ?

À l’observation, si la controverse est effective au regard des interprétations que suscite la réception populaire de cette disposition pertinente du Code général des collectivités territoriales décentralisées, elle est manifestementsans objet. En effet, le maire de la ville est une autorité qui,mutatismutandis,remplace le délégué du gouvernement esqualite. Or, la trajectoire historique de cette institution renseigne sur le fait que, dans la pratique, l’accès à cette fonction a généralement été réservé à une personnalité autochtone. Mais contrairement à ce qui s’est pratiqué jusqu’ici en rapport avec le mode d’accès à cette fonction, le maire de la ville « est élu par un collège constitué de l’ensemble des Conseillers Municipaux des communes d’Arrondissement de la ville ». C’est une disposition qui s’inscrit dans une certaine continuité, dans la mesure où elle continue de garantir les droits des peuples autochtones qui, du fait d’un rapport sacré et séculaire au « terroir »,  revendiquent à juste titre des droits susceptibles de les protéger contre les effets pervers du cosmopolitisme dans lequel s’inscriventnolensvolens les grandes villes du Cameroun.

Quel est le problème que le gouvernement a voulu régler en réservant la fonction de maire de la ville aux autochtones de la région de rattachement de la Communauté urbaine ?

Les grandes agglomérations et les villes contemporaines connaissent systématiquement des flux migratoires qui reconfigurent mécaniquement la démographie urbaine. Tout cela, dans un rapport de force culturel et matériel généralement défavorable aux peuples autochtones. Cette situation suscite naturellement chez ceux-ci la crainte légitime de se voir asphyxié, phagocyté et absorbé par ces flux démographiques qu’attirent les villes. Il est donc question pour le gouvernement -qui a pris l’ampleur du problème et des frustrations des peuples autochtones victimes de leur hospitalité ou de leur ouverture aux autres – d’adresser le problème, en lui apportant une solution durable pour sauvegarder les droits des peuples autochtones qui revendiquent un lien sacré aux sites d’implantations dont ils ont eu le privilège et la responsabilité de viabiliser très tôt. C’est cette reconnaissance politique d’un travail de viabilisation assorti d’une tradition de l’hospitalitéinscrite au cœur des pratiques de ces peuples depuis des générations qu’il s’agit de consacrer de manière solennelle.

D’aucuns affirment que cette volonté de protéger les communautés autochtones pourraient exacerber les dérives tribales au moment même où le discours officiel prône le vivre-ensemble. Cette façon de voir les choses est-elle fondée ?

Il est vicieux d’opposer « le vivre-ensemble » et « la protection des droits des peuples autochtones ». Pire, de poser comme antithétiques et contradictoires « le vivre-ensemble » et « la sauvegarde des droits des autochtones ». Tout cela contribue à alimenter une lecture spécieuse, voire une vision manichéiste de la réalité sociale qui ne contribue pas à rendre possible une compréhension plus féconde de la chose. En effet, on ne peut quereller ou polémiquer (sur) une telle approche consociationnelle que si on a un projet politique aux relents hégémoniques. On est soit autochtone, soit allogène quelque part.La volonté politique de protection des droits des peuples autochtones n’est en rien incompatible avec « le vivre-ensemble ». Soutenir une telle incompatibilité est l’expression d’une ignorance crasse  du droit comparé, ce d’autant plus que le Cameroun n’en a pas l’exclusivité.

Justement, la volonté de protéger les minorités ou les autochtones est-elle une spécificité camerounaise ?

En la matière, le Cameroun n’invente rien. Bien plus, il s’inscrit dans une dynamique universelle de protection des droits des minorités et des peuples autochtones.Il s’agit donc d’une dynamique universelle, d’une volonté soutenue de garantir et de protéger les droits des peuples autochtones. Il est simplement question de respecter une certaine ancienneté du rapport aux espaces de sociabilité et d’épanouissement sociopolitique, afin de rendre moins délétère la nécessaire convivialité que sont censés promouvoir les pouvoirs publics dans ces milieux essentiellement cosmopolites. La tradition de l’hospitalité ne doit pas devenir une faiblesse. Pour qu’il n’en soit pas ainsi, il revient au gouvernement de proposer des palliatifs ou des garanties pérennes pour rassurer les peuples autochtones qu’in fine, leurs droits et leur survie politique ne seront pas menacés par leur extrême hospitalité.  

Y a-t-il une opposition entre cet article 246, alinéa 1, et les dispositions constitutionnelles en vigueur ?

Il y a très peu de chance qu’une telle opposition se donne à voir. Le Cameroun a ratifié un certain nombre d’instruments internationaux qui garantissent et protègent précisément les droits des peuples autochtones. Or, les traités et accords internationaux dûment ratifiés par l’État du Cameroun s’imposent à lui en vertu du principe de la primauté du droit international sur le droit interne. Par ailleurs, dans le Préambule de la Constitution qui fait partie intégrante de la loi fondamentale, il est clairement indiqué que « le Peuple camerounais, affirme son attachement aux libertés fondamentales inscrites dans la déclaration universelle des Droits de l’Homme, la charte des Nations-Unies, la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et toutes les conventions internationales y relatives et dûment ratifiées, notamment aux principes suivants :-l’État assurela protection des minorités et préserve les droits des populations autochtones conformément à la loi ».

L’opposition entre les dispositions de l’article 246  du Code général des collectivités territoriales décentralisées et les dispositions pertinentes de la Constitution en vigueur n’est donc finalement qu’une vue de l’esprit qui discrimine ou lit de façon sélective et ethnocentrique les dispositions qui régissent l’État et ses démembrements territoriaux au Cameroun.

  1. La volonté de protéger les minorités ou les autochtones est-elle une spécificité camerounaise ?

Le droit politique comparé nous renseigne précisément qu’en souscrivant à la protection des minorités autochtones, le Cameroun s’inscrit dans une dynamique contemporaine qui consiste à garantir à ceux dont l’hospitalité risque de compromettre leurs intérêts une marge de manœuvre assez considérable. En cela, la protection  des peuples autochtones n’est pas une spécificité camerounaise. En effet, il existe des instruments internationaux qui consacrent cette protection des droits des peuples autochtones. D’ailleurs, en 2007, la Déclaration des Nations Unies sur les Droits des peuples autochtones a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations-Unies le 13 septembre à la majorité de 143  voix contre 4. La Nouvelle Zélande, le Canada, l’Australie et les États-Unis qui s’étaient montrés réfractaires à cette protection des droits des peuples autochtones ont plus tard ratifié ce texte. Loin d’être une spécificité camerounaise, la protection des minorités ou des (peuples) autochtones est une dynamique universelle. 

Propos recueillis par Rousseau Joël FOUTE, in Cameroon Tribune, Vendredi, 20 décembre 2019

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