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L'Editorial

«La solitude du vainqueur »* :

Depuis une semaine les flonflons, les fumigènes et les youyous de la fête se sont évanouis dans la nuit du temps qui passe inexorablement.

Les calicots, les banderoles et les oriflammes quittent peu à peu les emplacements où ils étaient déployés. La double célébration de la prestation de serment du président réélu le 7 octobre 2018 et du 36ème anniversaire de l’accession de Paul BIYA à la magistrature suprême du Cameroun a vécu. La fête était belle. La journée du 6 novembre 2018 trouvera sans doute sa place dans l’histoire de notre pays. Même les plus belles histoires ont cependant une fin. Il est désormais temps de passer à autre chose d’autant que pour Paul BIYA, l’heureux élu du jour et vainqueur du scrutin, il n’y aura point d’état de grâce au début de ce septième mandat. Pour lui comme pour tous ceux qui l’ont soutenu dans cette aventure électorale, tout a été dit avant, pendant et après la campagne. Le programme, le projet, les propositions existent. Maintenant tout reste à faire! À commencer par le « casting », à savoir les ressources humaines chargées d’accompagner le Président réélu. Or le temps presse. L’heure n’est ni à la paresse ni à l’ivresse des lendemains qui chantent.
 
Une semaine après  la prestation de serment, au terme des batailles collectives et des réjouissances populaires, la solitude du vainqueur est en effet  criarde face à l’équation de la ressource humaine et à l’impatience de la meute de compagnons d’hier et de soutiens d’aujourd’hui en quête de récompenses individuelles, de strapontins personnels et de dividendes post-électoraux. Il n’a pas échappé à l’observateur attentif que certains journaux ne tarissent pas d’éloges à l’égard de certaines personnalités présentées comme les « seuls, les vrais artisans de la victoire de Paul Biya » dans leur localité. Autrement dit, ceux dont les noms ne sont pas cités n’ont pas suffisamment mouillé le maillot. À défaut de l’échafaud, qu’ils soient remisés aux oubliettes, dans les sombres tréfonds des placards et des tiroirs de l’histoire. 
 
Dans la même logique, des officines, des agences de marketing et des cabinets en communication ayant plus ou moins pignon sur rue délivrent à tour de bras des awards à des entrepreneurs des médias et surtout à des acteurs politiques qui se sont « particulièrement distingués pour la réélection de Paul Biya ». Ne soyons pas dupes. Ces distinctions quelque peu complaisantes doivent être accueillies avec la plus grande circonspection. La plupart de ces  messages à peine subliminaux s’adressent bien entendu au vainqueur qui doit en tenir compte dans toute la mesure du possible et « renvoyer l’ascenseur » selon les usages en vigueur. Pourra-t-il répondre favorablement à tous ces appels du pied?
 
Pas si sûr. Entre d’une part le vainqueur, plongé dans sa solitude volontaire et passagère, à la recherche du recul, de la distance et de la hauteur nécessaires pour la prise de bonnes décisions, et d’autre part ses supporters en quête de sa sollicitude, de sa mansuétude voire de sa magnanimité, que de divergences! La démarche rationnelle de l’un contraste avec les considérations émotionnelles des autres. Pendant qu’il prône l’objectivité on tente de l’entraîner dans la subjectivité. Alors que lui il a la Nation comme horizon, la République comme cap et l’intérêt général comme idéal, on le tire par le bas vers les communautés, les tribus, les clans et les intérêts égoïstes. Saura-t-il résister à toutes ces pressions? On le lui souhaite dans l’intérêt supérieur du Cameroun. Que ces instants de solitude agissent sur lui comme un sas de décompression pour lui permettre d’avoir la main heureuse au moment des choix. Recomposition, renouvellement ou remise à plat? Chamboulement ou chambardement? Changement dans la continuité ou simple ravalement de façade? Toutes les options sont sur la table et il a toutes les cartes dans sa main. 
 
Une fois ces choix cruciaux accomplis, il sera toujours temps pour le vainqueur, Leader incontesté et « montreur de conduite » avisé, de rompre son splendide isolement et de se fondre à nouveau dans la dynamique de groupe qui a conduit à sa victoire. En tout état de cause, la victoire finale sera collective ou ne sera pas quelles que soient l’addition et la juxtaposition des talents individuels.             
 
*Titre emprunté à un roman du Brésilien Paulo COELHO paru le 15 avril 2009 

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