Un peu plus d’un mois après les élections régionales du 6 décembre dernier, tout est désormais fin prêt pour que le travail commence véritablement au sein des conseils régionaux. De manière méthodique, les organes, les structures et les ressources humaines nécessaires au bon démarrage de cet ultime échelon de la décentralisation au Cameroun ont été mis en place en l’espace de quelques semaines. Après la prestation de serment des nouveaux présidents, ont suivi les cérémonies de leur installation avec dans la foulée la nomination des receveurs des finances et des secrétaires généraux des régions. Après l’euphorie des élections et les réjouissances qui s’en sont suivies, le travail peut maintenant commencer. Les attentes des populations sont aussi nombreuses qu’urgentes. Et plus que jamais, le maçon sera jugé au pied du mur. Bien entendu, les résultats dépendront de multiples facteurs mais on sait d’ores et déjà que la volonté politique du président Paul Biya est inébranlable. Le Cameroun unitaire et décentralisé constitue l’une des options majeures de son projet de société.
Au moment où les exécutifs des régions entrent dans l’histoire et en fonction pour poser les premiers jalons de leur action, on scrutera avec attention et intérêt leurs rapports de collaboration avec les autorités administratives d’une part et les collaborateurs mis à leur disposition d’autre part. La réalité du terrain montre que les mauvaises habitudes, l’inertie et la routine de la techno-structure administrative sont souvent plus fortes et au-dessus de la volonté politique. Les régions seront-elles à leur tour rattrapées par cette « malédiction » qui frappe l’administration camerounaise et dont les principaux symptômes sont les conflits de compétences, la bureaucratie, les querelles de personnes, les crocs-en-jambe, l’insubordination? On ne le leur souhaite pas compte tenu de tous les espoirs que charrie la mise en place de ce dernier étage de la fusée nommée décentralisation.
La vigilance sera d’autant plus de mise que quelques jours avant l’installation des nouveaux présidents de régions, le Président de la république a procédé à un mouvement au sein de la préfectorale. Et comme d’habitude, les gouverneurs et les préfets sont descendus sur le terrain pour installer respectivement les préfets et les sous-préfets nommés ou affectés. Comme d’habitude, ces cérémonies d’installation se sont achevées invariablement par la phrase rituelle prononcée par l’officiant du jour comme une injonction, avec une vigueur et une emphase remarquables: « prenez le commandement !!!» Les applaudissements nourris de la foule, le visage grave et les sourires de satisfaction des vedettes du jour constituent le point d’orgue du rituel d’installation. La question que se posent pourtant les observateurs est celle de savoir si la notion même de commandement est encore d’actualité à l’heure de la décentralisation et si les deux concepts sont vraiment compatibles. Le commandement tel qu’il a toujours été pratiqué chez nous depuis l’époque coloniale est synonyme de verticalité, voire de brutalité alors que la décentralisation repose sur l’horizontalité et la participation des populations.
C’est dire que le succès de la décentralisation passe aussi par un changement de paradigme et de mentalité de la part de tous les acteurs impliqués dans le processus qui est d’ailleurs arrivé à son terme avec la mise en place des régions. La nouvelle étape, plus décisive, plus concrète, puisque à l’épreuve des réalités du terrain, exige qu’on se débarrasse des oripeaux du passé pour revêtir des habits neufs aussi bien pour le corps que dans les esprits. Dans cette veine, les « chefs de terre », une appellation vouée à la disparition, et les élus, locaux ou régionaux, doivent tous être, aujourd’hui plus qu’hier, des mandataires du bien commun. À cet égard, ils sont davantage appelés à servir qu’à commander.
Puisque nous sommes encore au mois de janvier et que la saison des vœux et des bonnes résolutions se poursuit, pourquoi, l’administration camerounaise ne prendrait-elle pas la résolution de supprimer les formules du genre « prenez le commandement » ou « vous êtes déclaré installé dans vos fonctions » pour les remplacer par l’expression « prenez le service »? Ce serait un bon signal en direction des populations et pour rappeler à ceux des responsables qui auraient tendance à l’oublier que leur mission première est de servir. On ne peut pas entrer dans la phase ultime de la décentralisation qui suppose dialogue, proximité, courtoisie, tact et respect vis-à-vis des populations avec les réflexes, les méthodes et les formules d’une époque surannée.