À en croire les témoignages reçus, de nombreux lecteurs de votre journal ont, semble-t-il, apprécié l’originalité de l’éditorial paru ici même la semaine dernière et intitulé « le syndrome du varan pourri ». Je vous remercie pour cette marque d’attention et cet intérêt. Des remerciements particuliers à cet aîné qui m’a fait observer que la parabole du varan pourri ne consiste pas seulement en un dilemme pour savoir s’il faut annoncer la nouvelle ou la garder pour soi. L’énigme concerne aussi le sort réservé à la dépouille: la ramener au village pour en faire un bon mets de viande boucanée accommodée à toutes les sauces ou laisser le processus de putréfaction aller jusqu’à son terme dans la nature… À chacun de choisir ce qu’il pense être la moindre des malédictions.
Nous avons choisi de rester dans la métaphore du bestiaire de la forêt pour illustrer les contradictions et les paradoxes des comportements des Camerounais face aux mesures de lutte contre le covid-19 prises par le gouvernement dans le cadre de sa stratégie de lutte contre cette pandémie. Depuis une semaine environ, un procès en sorcellerie est intenté aux pouvoirs publics pour avoir levé la mesure ordonnant la fermeture des bars et débits de boissons après 18 heures. La vraie sorcellerie réside pourtant ailleurs: tous ceux qui se plaignent aujourd’hui ne la respectaient même pas. C’est un secret de polichinelle que lesdits débits de boissons fermaient leurs façades pour mieux continuer leurs activités derrière les portes closes. Sans doute informées de ce jeu de cache-cache, les autorités ont donc décidé de mettre fin à cette hypocrisie. Au grand dam de certains consommateurs qui préféraient sans doute écluser leurs bières dans la clandestinité.
On connaît d’ailleurs la défiance des Camerounais vis-à-vis des lois et des règlements. Au nom de cette attitude qui frise l’anarchie, ils peuvent se permettre de jeter les ordures n’importe où et n’importe comment; ils peuvent violer allègrement les feux de signalisation, se soulager partout et quand ils veulent, parfois au mépris de la décence et des bonnes mœurs. Ils n’ont qu’à faire preuve du même esprit d’impertinence et de défiance en boycottant les débits de boissons au-delà de 18 heures, insinuent avec malice, et non sans raison, les persifleurs.
En tout cas, personne n’est obligé d’aller boire au bar. Ceux qui y vont en oubliant les mesures et précautions d’usage le font à leurs risques et périls. Un minimum de bon sens et de responsabilité individuelle ne ferait de mal à personne. Les exemples existent à profusion et à foison: malgré les mises en garde récurrentes contre la cigarette, certains fumeurs n’ont jamais arrêté de fumer. À qui la faute? Les armes à feu utilisées lors des tueries de masse; les véhicules impliqués dans les accidents de la circulation; les intoxications médicamenteuses et alimentaires continuent de faire des morts, alors que telle n’était pas la vocation première de ces équipements et produits.
Pour conclure, revenons à la métaphore de la salamandre. Il s’agit d’un petit animal vivant dans les forêts tropicales humides dont la peau est recouverte de taches jaunes destinées à le protéger des prédateurs. La salamandre ressemble au lézard ou au margouillat mais selon les scientifiques, elle est de la famille des amphibiens; donc plus proche de la grenouille que du lézard. Les encyclopédistes prétendent que cette bestiole en voie de disparition ne présente aucun danger pour le genre humain. Et pourtant dans l’imaginaire et la mythologie des peuples de la forêt, la salamandre traîne une réputation similaire voire pire que celle du scorpion ou du plus venimeux des serpents. La légende raconte ainsi que sa morsure a un seul antidote connu: pour échapper à une mort certaine, la victime doit engager une course contre la montre, mieux, contre la mort, et atteindre un point d’eau avant son bourreau. Le défi est de taille puisque la salamandre vit quasiment dans l’eau et s’aventure rarement sur la terre ferme.
La lutte contre le coronavirus ressemble, toutes proportions gardées, à une course pour la survie suite à une morsure de salamandre. À chacun de prendre ses jambes à son cou pour atteindre le point d’eau afin de sauver sa peau. Vigilance, prudence, précaution… Le gouvernement a déjà fait sa part au profit de la communauté nationale et des populations. Sa mission n’est pas terminée pour autant. Le reste relève également de la responsabilité de chacun et de la volonté de tous. Ceux qui attendent le signal « à vos marques, prêts? Partez », auront pris un funeste retard fatal pour eux-mêmes, leurs proches et leurs familles. Pendant ce temps, le corona court. Plus vite que la salamandre.