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Janvier 1984-avril 1988 : L’exigence de réformes

Les prestations de serment du 21 janvier 1984 et d’avril 1988 au terme de deux scrutins présidentiels anticipés, loin de relever de « la phobie des coups d’Etat », comme l’a indiqué Ahmadou Ahidjo, participent de l’exigence d’un véritable ancrage du pouvoir du nouveau chef de l’Etat.

Les observateurs de par le monde, et les Camerounais en premiers, ont applaudi le passage exemplaire de témoin entre Ahmadou Ahidjo, le premier président de la République unie du Cameroun et Paul Biya, son « successeur constitutionnel ». Un passage du témoin dans la paix et le calme. Logiquement, Ahmadou Ahidjo entre dans la légende et son nom est inscrit en lettres d’or dans les anales de l’histoire du Cameroun. Le vibrant hommage que lui rend le président Paul Biya à la cérémonie de prestation de serment le 6 novembre 1982 s’expliquait donc.Mais, très vite, l’ancien chef de l’Etat va se montrer encombrant, très encombrant même pour son successeur, qui doit ensuite déférer à toutes les convocations à lui adressées par Ahmadou Ahidjo. Des observateurs indiquent d’ailleurs qu’avant toute décision importante, le nouveau président, Paul Biya, devait se référer à l’appréciation de son prédécesseur qui devait lui prodiguer des conseils, lui exprimer ses idées, ses vues et orienter les positions du Président. Peu à peu, le nouveau président est exacerbé par le contrôle et la pression qu’exerce son prédécesseur sur lui.  De plus, le président Ahidjo demande qu’il soit mis à disposition une voiture battant pavillon particulier et une escorte motorisée qui l’accompagnera à toutes ses sorties. Le président réservera une fin de non recevoir à cette autre demande : « Et lorsque le pays comptera, trois, quatre, cinq anciens présidents, et que tous se déplaceront dans ces conditions, les rues de la capitale seront-elles assez grandes à la fois pour eux et pour le reste des Camerounais ? » Interroge-t-il, consacrant ainsi la rupture avec l’ancien chef de l’Etat.De malaise en malaise, les rapports entre les deux hommes deviennent difficiles à gérer. L’ex président se fait alors soucieux de reprendre le pouvoir et de régler  ses comptes à un Paul Biya jugé « prétentieux ». Il va actionner quelques uns des leviers à sa disposition, à commencer par celui de l’Union nationale camerounaise (UNC), le parti unique au pouvoir, dont Ahmadou Ahidjo est le fondateur et en demeure le président. A l’Assemblée nationale où il a de réels soutiens et quelques amis, l’ex président de la République tente une manœuvre contre son successeur. Il fait passer, secrètement, avec la complicité de ses plus proches amis au parlement, un projet de loi qui ferait du président du parti, le chef de l’Etat, ayant pouvoir de nommer et de révoquer le président de la République. Le président Paul Biya en est tenu informé à temps, l’initiative échoue. Le nouveau chef de l’Etat peut alors rappeler les dispositions constitutionnelles : « Le président de la République définit la politique de la nation et la fait appliquer ». Intégration nationaleLa réalité est que le nouveau président a prêté serment alors que le mandat du président démissionnaire courait encore. Il lui fallait asseoir son propre pouvoir et sa légitimité. D’où l’élection présidentielle anticipée du 14 janvier 1984 à laquelle il est l’unique candidat. Son discours de prestation de serment est davantage axé sur l’unité nationale. Pour le président Paul Biya, « l’unité nationale, si elle doit être jalousement préservée, elle doit être cependant réévaluée pour devenir à jamais irréversible. Il nous faut passer, insiste le président Paul Biya, au stade de l’intégration nationale ».La présidentielle anticipée du 24 avril 1988 s’inscrit dans la même optique de poursuite des réforme politiques et de consolidation du pouvoir du président Paul Biya. Le président doit également avoir des coudées franches pour lutter contre la corruption qu’il condamne avec véhémence et prendre des mesures drastiques, voire impopulaires, pour faire face à la crise économique qui a commencé à sévir depuis au moins 1985. Depuis le 14 septembre 1983, il est porté à la tête de l’UNC, mais il doit accélérer les réformes politiques pour engager résolument le pays dans la voie de la modernisation, de la démocratisation et de la participation du plus grand nombre au processus de prise de décision. En mars 1985, le Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC) nait à Bamenda. Le président encourage ses compatriotes à s’intéresser à la vie politique et à exprimer librement leurs idées. Dès octobre 1987, les premières élections municipales à candidatures multiples ont lieu au sein du parti unique, le RDPC. Elles sont suivies des présélections en vue des élections législatives du 24 avril 1988, elles aussi anticipées au même titre que la présidentielle. Paul Biya anticipe sur ce qui sera appelé plus tard « le vent d’Est ». Les revendications pour le multipartisme viendront enfoncer une porte grandement ouverte.

Simon Meyanga

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