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Bamenda : Le difficile accouchement du Rdpc

En 1985, l’on pressentait la fin certaine de l’Unc. Et les supputations
sur le nom du nouveau parti qui devait naître allaient bon train. Voici
comment est né le Rdpc à Bamenda, est un opuscule de Jean Pierre Fogui
publié en mars 2012, qui retrace le feuilleton de la naissance d’un
parti dont l’accouchement aura été difficile. Mais qui s’est imposé au
fil du temps sur l’échiquier politique national.

S’il avait été militaire, Jean Pierre Fogui, secrétaire aux relations internationales et aux droits de l’homme du Comité central du Rdpc, aurait été dans le génie.   Il aurait bâti des ponts, des routes, des pistes d’atterrissage. Mais il est homme politique, culturaliste et écrivain. Alors, il publie des ouvrages et recueils de poèmes. Il a débuté en 1982 avec vers le Mont Cameroun (en collaboration avec Joseph Charles Ndoumba) publié aux éditions Abc à Paris. Aujourd’hui, il jette le dévolu sur la naissance du Rdpc qui intervient après 6 autres publications intermédiaires. Voici comment est né le Rdpc à Bamenda est donc un témoignage de Jean Pierre Fogui, alors jeune secrétaire de la commission d’organisation matérielle du 4ème  congrès ordinaire de l’Unc (Union nationale camerounaise) tenu à Bamenda en 1985, qui tient dans un opuscule de 35 pages et 6 thèmes. A la vérité, l’on ne pouvait plus faire mystère des répercussions sociologiques, politiques et diplomatiques de plus en plus visibles du coup d’Etat manqué du 06 avril 1984, qui a marqué une rupture définitive entre l’ancien et les nouveau régimes. Bien au contraire, l’évidence de la création d’une nouvelle formation politique s’affirmait de plus belle. Le récit fidèle de Jean Pierre Fogui présente d’entrée de jeu, le 4è congrès ordinaire de l’Unc comme un congrès dont beaucoup ne voulait pas. « Il me plaît de prime abord de pouvoir observer, pour m’en féliciter, que rien n’a donc pu empêcher la tenue de nos présentes assises. Rien, pourtant ne nous a épargné…Ni les surprises désagréables, ni les émotions, ni les déceptions, ni le feu, ni le sang, ni les larmes (…)Tout aura été entrepris pour s’opposer à la tenue des présentes assises ». Ainsi relevait Paul Biya alors chef de l’Etat et président national de l’Unc depuis septembre 1983 dans son rapport de politique générale lors du rendez-vous de Bamenda. Voilà qui est bien dit. En effet, c’est dans un environnement délétère, mouvementé et empreint d’inquiétudes au sein des services de sécurité, de problèmes d’intendance et de fébrilité, peu propice à la réussite d’un projet politique d’envergure que le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), est né.PéripétiesDes épisodes difficiles, comme on le voit, il y en a eu à profusion. L’un d’eux auquel le  petit ouvrage fait allusion c’est la  kyrielle d’interrogations politiques qui taraudaient les esprits à la fois des progressistes et des conservateurs de l’ancien régime, mais qui étaient visiblement à l’ordre du jour du 4ème congrès ordinaire de l’Unc : le président Paul Biya pouvait-il prendre le risque de créer un parti politique à ce moment-là, étant donné que l’ancien président avait encore la mainmise sur une de frange la classe politique ? Quelle était la formule idoine pour reconfigurer le paysage politique au sein du Comité central de l’Unc, dominé par les personnalités choisies par l’ancien président au congrès de Bafoussam en 1980 et asseoir, du même coup, la légitimité du nouveau président à la tête de l’Etat ?  Jean Pierre Fogui, politicien nourri de romantisme et fervent défenseur des idées républicaines en donne quelques éclairages. En fait, le président Paul Biya, après son élection à la présidence de l’Unc, le 14 septembre 1983, tenait les deux manettes du pouvoir et avait, pour ainsi dire, toutes les raisons d’agir et tous moyens de le faire. Il ne lui manquait plus qu’une opportunité, miraculeusement offerte par le 4è congrès ordinaire de l’Unc à Bamenda. C’était l’occasion pour Paul Biya à la fois de compléter son dispositif stratégique et de mettre le train du Renouveau sur les rails. Mais, il fallait compter avec les impératifs sécuritaires. Car, l’ombre des évènements tristes du 06 avril dont les plaies ouvertes n’étaient pas complètement cicatrisées, surplombait encore le congrès de Bamenda. D’où la psychose sécuritaire perceptible à tous les niveaux. Le Palais des congrès lui-même étant devenu un véritable cauchemar pour les services de sécurité qui redoutaient un nouveau coup après le putsch manqué de 1984. A cela se sont greffés les problèmes d’intendance autour du congrès de Bamenda. Dans  cet ouvrage, Jean-Pierre Fogui, ministre délégué auprès du ministre de la Justice ne passe pas outre ces difficultés. Le congrès de Bamenda se tient certes, à un moment où l’économie nationale affiche encore une belle santé. Mais sous l’impulsion du nouveau Corpus doctrinal de référence (rigueur et moralisation), les différentes administrations limitent les dépenses. C’est finalement dans ce climat de réduction du train de vie de l’Etat qu’on décide de placer le congrès sous le signe de la solidarité nationale, avec en toile de fond l’organisation d’une quête pour financer la construction et l’équipement du Palais des congrès. Néanmoins, les problèmes d’intendance freinent considérablement le rythme de préparation du congrès, au grand dam des « Anciens » qui avaient l’habitude, en pareilles occasions, de manipuler des dizaines de millions de francs dans le cadre des fameuses « caisses d’avance ». Malgré les efforts consentis par les différentes sous-commissions et la bonne volonté des uns et des autres, de nombreuses difficultés  entre autres, la pénurie de poissons, la sécurité aléatoire au village du congrès, les voitures de liaison, l’hébergement des congressistes, ont hypothéqué la bonne programmation et la bonne exécution des activités. Dans un style clair et soutenu, Jean Pierre Fogui relate l’un des cauchemars des artisans du 4è congrès ordinaire de l’Unc, à savoir la gestion des impératifs de temps. En effet, souligne-t-il, l’incertitude sur la date du congrès alimente des rumeurs çà et là, tandis que de l’autre côté, la commission d’organisation matérielle, sur qui repose l’essentiel des activités préparatoires, ne tient sa première réunion que le 20 octobre 1984, soit 5 mois seulement avant la date fatidique. De son côté, la sous-commission « Accueil, Transport et Hébergement » ne descend véritablement sur le terrain qu’en janvier 1985, soit deux mois et demi seulement avant l’évènement. Ainsi, il aura fallu attendre la lettre-circulaire du 7 mars 1985 convoquant officiellement le congrès du 21 au 24 mars 1985 pour que le compte à rebours soit officiellement lancé. Résultat de course, de nombreux retards dans les domaines aussi sensibles que la traduction en Anglais des documents du congrès, l’impression et la distribution du Guide du congrès, la mise à jour du listing des logements entre autres. Le congrès finit malgré tout par s’ouvrir dans les angoisses et les incertitudes d’une classe politique saisie par le doute et « tétanisée » par le cyclone politique qui apparaît en filigrane avec la perspective d’un nouveau parti politique.  « Mort » programmée Il va de soi que les évènements qui ont précédé le 4è congrès de l’Unc n’auguraient pas de bonnes perspectives pour ce parti. A cet égard, Jean Pierre Fogui, l’intellectuel devenu par raison et par passion homme politique, retrace dans une certaine majesté naturelle, olympienne et dans une humanité  sensible et séduisante, selon l’historien Jules Isaac, la « mort » programmée de l’Unc. Et l’on est dans le règne des évidences sur l’imminence d’une nouvelle formation politique. A en croire le politicien culturaliste, lorsque s’ouvre le congrès de Bamenda, la question qui brûle toutes les lèvres n’est pas de savoir si oui ou non l’Unc sera maintenue (depuis le coup d’Etat manqué du 06 avril 1984), mais plutôt de savoir quel nom portera le nouveau Parti qui va naître des cendres du Parti créé par Ahmadou Ahidjo en 1966.  Sur l’appellation, l’on doit beaucoup au premier cercle de réflexion qui a d’abord proposé Rassemblement du peuple camerounais (Rpc) qui, après analyse, a finalement été transformé en Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc). Encore fallait-il gérer des sons discordants et des éclats de voix autour de la traduction du nouveau sigle en anglais. Mais il n’en reste pas moins qu’au lieu de prononcer la dissolution de l’Unc, la résolution que tout le monde attendait a adopté une formule originale qui fait néanmoins débat aussi bien dans la classe politique que dans les cercles académiques : « L’Unc devient le Rdpc ». Une vraie fausse mue de l’ancien parti qui a perdu ses atouts et ses atours. Tel est le scénario de la naissance du Rdpc à Bamenda. Une naissance entachée de tensions, d’incertitudes et de confrontations intellectuelles fécondes, que résume en mots justes le chef traditionnel du village Ngui dans la région de l’Ouest.  Même si l’on peut regretter qu’en se gardant de toute prolixité, l’auteur a privé ses lecteurs de certains scénarii importants qui ont jalonné la création du Rdpc. Toutefois, la formule d’Ernest Lavisse selon laquelle, « La connaissance de l’histoire éclaire l’amour de la patrie », n’est-elle pas toujours de mise ?

Joseph Wylphrid Mikoas

Joseph Wylphrid Mikoas

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