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L'Editorial

À tort ou à raison :

Depuis quelques semaines, la ville de Bamenda, chef- lieu de la Région du Nord-Ouest, vit au rythme de manifestations orchestrées tantôt par des avocats, tantôt par des enseignants. 

Les premiers, s’appuyant sur la Constitution qui dispose que le Cameroun est un État bilingue, revendiquent à juste titre la traduction en anglais des textes de l’Acte uniforme de l’Organisation pour l’Harmonisation du Droit des Affaires en Afrique(OHADA). Ils y ajoutent la stricte application de la Common Law dans les tribunaux du Nord-ouest et du Sud-ouest. 
Les seconds, c’est-à-dire les enseignants, manifestent pour la sauvegarde du système éducatif anglophone. Ces revendications corporatistes sont légitimes et compréhensibles. Le gouvernement l’a compris qui a pris des dispositions pour les examiner et leur apporter des solutions satisfaisantes. La version anglaise de l’Acte de l’OHADA est disponible et un groupe de travail a été mis en place pour plancher sur les revendications des enseignants. Des initiatives politiques ont également été enregistrées dans le sens du dialogue. En dépit de cette bonne volonté des pouvoirs publics, les revendications ont rapidement débouché sur le terrain politique. La coïncidence est d’autant plus suspecte que après Bamenda, la ville de Buea est est à son tour le théâtre de revendications depuis le début de cette semaine. Après les avocats et les enseignants, les étudiants entrent aussi en scène. Toute cette agitation survient en pleine Coupe d’Afrique des nations de football féminin; au moment où les projecteurs médiatiques sont braqués sur le Cameroun. Il n’y a donc pas de hasard. Tout se tient. À Bamenda comme à Buea, pas besoin de lire entre les lignes ou d’un décodeur pour comprendre que la trame de fond de tous ces mouvements tourne autour de la sempiternelle question de ce qu’il est désormais convenu d’appeler, à tort ou à raison, «le problème anglophone». Selon les partisans de cette thèse, les Camerounais du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, communément appelés Anglophones, sont victimes de marginalisation de la part de la majorité francophone. Certes il existe des malentendus, des préjugés et des frustrations de part et d’autre. Certains de ces sujets sont même devenus des sujets de moquerie, de raillerie ou d’ironie entre Camerounais mais sans volonté de nuire, de blesser ou d’agresser car un peuple qui rit de lui-même est un peuple fort. Toutefois, ce débat, sans jamais disparaître totalement, revient de manière épisodique au devant de la scène tel un serpent de mer. 
Or le Cameroun revendique sa spécificité linguistique, assume sa diversité culturelle et exhibe sa fierté en tant que Nation plurielle. C’est un atout incontestable dans le concert des Nations. Voilà pourquoi le Cameroun brandit son double héritage colonial et linguistique comme une exception et une chance. En son article premier, alinéa 3, la Constitution dispose: «La République du Cameroun adopte l’anglais et le français comme langues officielles d’égale valeur. Elle garantit la promotion du bilinguisme sur toute l’étendue du territoire.» On remarquera que dans cette formulation, l’anglais passe avant le français. Même si la pratique au quotidien n’est pas toujours conforme à l’esprit et à la lettre de la Constitution, la volonté politique est intacte et inébranlable à cet égard. Mais plus de cinquante ans après l’indépendance et la Réunification, ce débat récurrent, cette pierre d’achoppement qui repose essentiellement sur l’antagonisme entre deux langues importées, paraît de plus en plus anachronique et dépassé. 
Avant l’arrivée des colons, Allemands d’abord puis Français et enfin Anglais, il n’y avait ni germanophones ni francophones ni anglophones. De part et d’autre du Moungo, il n’y avait que des tribus et des ethnies authentiquement et viscéralement camerounaises. Un Bakweri du Fako est-il moins proche sociologiquement d’un Douala du Wouri ou d’un Abo du Moungo parce que l’un parle anglais et les autres français? Les habitants de Kom, de Banso ou de Bafut ne sont-ils pas proches sur le plan identitaire de ceux de Mbouda ou de Foumban? Pourquoi dans les Grassfields du Nord-Ouest et de l’Ouest les chefs traditionnels sont- ils désignés de la même manière ou presque (Fo ou Fon)? Certainement parce qu’il y a un même socle sociologique et anthropologique que la colonisation, malgré sa brutalité, n’a pas pu modifier. Et aujourd’hui encore, plusieurs siècles après l’arrivée des Blancs, tant dans le Nord -Ouest que dans le Sud-Ouest, il existe de nombreuses personnes qui ne parlent pas l’anglais mais une langue locale typiquement camerounaise. Tout comme à l’Est, à l’Extrême-Nord ou dans l’Adamaoua, en ville ou en campagne, vous rencontrerez des hommes et des femmes, jeunes ou vieux, qui ne parlent pas un traître mot de français ni d’anglais. Cessent-ils pour autant d’être Camerounais à part entière parce que n’étant ni anglophones ni francophones? Sans céder au chantage et à la surenchère, l’Etat et le gouvernement doivent veiller à chaque instant à la préservation de la cohésion et de la concorde nationales; ils doivent être davantage à l’écoute de TOUTES les composantes et de TOUTES les sensibilités mais être Camerounais c’est plus que parler l’anglais ou le français. Être Camerounais ne se réduit pas à être Francophone ou Anglophone. C’est partager un socle de valeurs traditionnelles, ancestrales, morales et patriotiques fondées sur l’histoire et la géographie. 
Ce parcours commun, ces joies et ces peines vécues ensemble, ces obstacles et ces défis relevés de concert, les épreuves traversées et les victoires remportées, forgent notre identité et notre farouche volonté de VIVRE ENSEMBLE en ayant conscience de ce que ce qui nous unit est plus fort que ce qui nous divise.

Par Christophe Mien Zok

Christophe MIEN ZOK

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