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L'Editorial

«Prenons de la hauteur» :

La troisième et dernière session de l’année législative 2017 s’achève en principe ce mercredi. 

Une session qui restera dans les annales du Parlement camerounais comme l’une des plus mouvementée, agitée et  chahutée. L’incendie du Palais de verre de Ngoa Ekelle n’a pas seulement consumé des bâtiments; il a aussi embrasé littéralement des esprits déjà échaudés et échauffés.  Le contexte de la crise  dans les deux Régions anglophones du pays ne suffit pas à lui tout seul pour justifier  les dérives et les incidents qui ont émaillé les séances plénières. Peut-être faut-il y voir aussi un air de vacances anticipées à quelques mois de la fin du mandat des Parlementaires. Certes la loi des finances et d’autres projets de lois ont été votés mais ce qui restera dans les mémoires et l’imagerie collectives c’est le spectacle triste et affligeant d’un élu au visage ensanglanté en plein hémicycle ou encore cette cacophonie et ce tintamarre dignes de garnements dans une cour de récréation. 
 
Depuis que sur le terrain la crise a viré en affrontement armé entre d’une part les forces de défense et d’autre part les sécessionnistes, les esprits s’échauffent. L’assassinat de plusieurs policiers et gendarmes a exacerbé les tensions et provoqué des frictions, y compris dans les lieux, les cercles et les cénacles dont on aurait attendu plus de sagesse et de responsabilité. Les joutes verbales et les gesticulations ont étouffé le crépitement des armes. À défaut de les réduire au silence. Les passions, les calculs et les intérêts politiciens ont pris le pas sur la raison, la sagesse et l’intérêt général. 
 
Dans quel état moral et psychologique sortirons-nous de cette crise? Seul l’avenir nous le dira mais nous naviguons de plus en plus entre le meilleur et le pire. Autre question et non des moindres: peut-on et doit-on invoquer l’éthique et la responsabilité dans un moment comme celui-ci? Nietzsche définit l’homme comme « une corde tendue au-dessus d’un abime ». S’il perd son équilibre, il tombe dans la bestialité et sombre dans la monstruosité. Alors évitons, par certains de  nos comportements, de basculer dans l’abîme de l’indignité. 
 
Loup ou agneau? Ange ou démon? Colombe ou faucon ? À nous de faire chaque fois le bon choix. Les  uns ont raison de crier  à la guerre comme à la  guerre; les autres n’ont pas tort d’estimer  qu’il faut hurler avec les loups et certains ne se trompent pas  lorsqu’ils invoquent  le  très biblique « œil pour œil, dent pour dent » au nom de la Loi du Talion. Mais qui  osera faire un procès à ceux qui prônent la bonne tenue et la retenue? Ou qui soutiennent qu’en toute chose il faut savoir raison garder? Qui  jettera la première pierre à ceux qui plaident comme  Nietzsche que « celui qui doit combattre des monstres doit prendre garde de ne pas devenir monstre lui-même »? Voilà l’autre défi que nous lance la crise anglophone. Nous devons préserver notre humanité et notre fraternité en toutes circonstances. À l’assemblée nationale comme au Sénat, sur le terrain comme dans les foyers avec des armes de guerre ou la plume à la main, nous devons nous rappeler avec Winston CHURCHILL que « la responsabilité est le prix de la grandeur ». 
 
Dans le brouhaha, la confusion et le chahut orchestrés par certains  Parlementaires ces dernières semaines, une voix pleine de sagesse et de responsabilité s’est élevée. Elle a eu peut-être de la peine à se faire entendre car curieusement et paradoxalement, elle ne vient pas d’une grande autorité religieuse, d’une conscience morale ou d’un leader politique. C’est la voix d’un homme en tenue, officier  de l’armée camerounaise de son état qui combat les sécessionnistes sur le terrain dans le Nord-ouest. Ce lieutenant-colonel  dont nous taisons le nom s’est brièvement exprimé dans un reportage diffusé dimanche dernier au journal télévisé de la Crtv. À bord d’un véhicule pris pour cible par les assaillants et criblé d’impacts de balle, il a eu ces mots d’une très grande et profonde sagesse: « prenons de la hauteur. Nous n’allons pas faire comme eux »(entendez les combattants sécessionnistes ). Il ne s’agit pas de tendre l’autre joue à l’ennemi mais de ne pas le suivre dans ses monstruosités.  Une belle leçon de tolérance qu’un élément des forces armées donne à nos hommes politiques obnubilés et obsédés par les échéances électorales. Preuve s’il en est qu’au sein de la Grande Muette  les mots sont certes rares – contrairement à certain écrivain – mais ils pèsent comme des obus d’artillerie. Et ne ratent jamais leur cible. Quand la profondeur atteint une telle hauteur, elle force le respect et l’admiration. Pour une fois les civils doivent se mettre au garde- à-vous!

Christophe MIEN ZOK

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