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Le tribunal de l’histoire :

Robert MUGABE, qui a dirigé le ZIMBABWÉ d’abord comme Premier Ministre (1980-1987) puis comme Président de la République de 1987 à 2017, sera inhumé le 15 septembre prochain dans son pays natal.

Mort vendredi dernier à 95 ans, « Comrad BOB » aura marqué, bien avant SANKARA, et après les NKRUMAH et autres LUMUMBA, des générations entières d’Africains par son combat pour la libération de son pays et son engagement en faveur de la restauration de la dignité de l’homme noir. Dans la décennie 70 marquée par la lutte contre l’apartheid, à chaque édition d’informations de la radio, l’on parlait régulièrement des pays de la ligne de front, de Robert MUGABE ou du Namibien SAM NUJOMA, même sans être révolutionnaire dans l’âme, il faisait alors bon porter le sobriquet MUGABE, le rebelle, le battant, le combattant. Ces quinze dernières années, une certaine opinion, européenne et américaine notamment, avait tendance à le présenter comme un tyran, un dictateur. Le héros serait devenu le bourreau de son peuple; le libérateur se serait transformé en geôlier, en oppresseur. À l’heure du jugement dernier, telle est l’image contrastée que certains voudraient donner de celui qui fut, en 1980, le Père de l’indépendance du Zimbabwe, aux côtés de Joshua NKOMO, Abel MUZOREWA. 
 
La vérité n’est pas aussi tranchée. Pour beaucoup d’Africains qui se souviennent avec émotion de ces années de braise, des sacrifices des pays et des peuples de la ligne de front, de l’arrogance d’un Ian SMITH ou d’un John VORSTER, racistes purs et durs devant l’éternel, MUGABE reste incontestablement un héros, un modèle. S’il a choisi de prendre le contrepied d’un Nelson MANDELA en allant jusqu’au bout de sa réforme agraire contestée et combattue par la minorité blanche, il n’est pas pour autant le diable que l’on veut dépeindre. Ouvrons ici une parenthèse pour mettre en balance les violences xénophobes enregistrées ces dernières semaines en Afrique du Sud avec la nostalgie d’une époque pas si lointaine où, sur les passeports camerounais, figurait la mention « ce passeport donne accès à tous les pays SAUF l’Afrique du Sud ». C’était l’époque de la grande solidarité africaine et de l’engagement total contre le colonialisme et l’apartheid. MANDELA, adulé par les Blancs pour son sens de la tolérance, doit se retourner dans sa tombe au regard de ces scènes où des sud-africains pourchassent leurs frères africains. 
 
Revenons à Robert MUGABE et à l’image qu’il léguera à la postérité. Une certaine communauté internationale, qui se croit investie du devoir de formater et de manipuler l’opinion mondiale, l’a d’ores et déjà rangé aux côtés d’un SADDAM HUSSEIN ou d’un MOUAMMAR KADDAFI, c’est à dire parmi les dictateurs et les tyrans les plus féroces que l’humanité ait connus. Il convient pourtant de se méfier de ces jugements hâtifs et à l’emporte-pièce. Sans négliger les états d’âme de ceux-là mêmes qui hier n’avaient pas levé le petit doigt pour aider le ZIMBABWE ou l’Afrique du Sud à se libérer du joug des oppresseurs et qui tentent aujourd’hui d’accabler MUGABE, laissons le soin à l’Histoire d’avoir le dernier mot. Autrement dit, seul le jugement de l’Histoire, avec le recul du temps et l’apaisement des passions, pourra rendre un verdict objectif sur la vie et l’œuvre de Robert MUGABE.   
 
Les dirigeants d’aujourd’hui et les acteurs de demain devraient s’inspirer de ce genre d’événements. Au lieu de plaire seulement à leurs contemporains, parmi lesquels figurent de nombreux courtisans, ils devraient inscrire leur action dans la durée avec une perspective historique. Combien de personnes condamnées dans la précipitation ont été réhabilitées après leur mort par le Temps et l’Histoire? Elles sont très nombreuses. Moralité: si les hommes ont tendance à avoir la mémoire courte, l’histoire, elle, n’oublie presque rien. Au nom de ce postulat, MUGABE et bien de dirigeants encore en vie et en activité doivent avoir à cœur de soigner leur sortie de la scène. À la fermeture du rideau ils ont devant eux une alternative: le néant ou une place vivante et éternelle gravée dans le marbre de l’histoire. Rendu à cet ultime instant, il est déjà trop tard pour faire un choix. Il aurait dû être fait longtemps avant; comme dirait Césaire « année après année, anneau après anneau ». CMZ

Christophe MIEN ZOK

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