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Evolution : Les hommes passent, le parti reste

Depuis la création du Rdpc à Bamenda en 1985, le secrétariat du Comité central a subi des évolutions au gré des contextes et des circonstances. Plongeon dans les couloirs et les coulisses de l’histoire du parti.

I.1985 : un calife nommé Sengat KuoLes amateurs de bande dessinée connaissent bien le vizir Iznogood qui voulait être calife à la place du calife. Sengat Kuo, déjà grand vizir du parti l’Unc voulait-il être calife à la place du calife ? La création du Rdpc à Bamenda en 1985 constitue l’une des réponses de Paul Biya aux multiples épreuves qu’il traverse depuis le 6 novembre 1982 : bicéphalisme, crise avec le président Ahidjo, tentative d’assassinat en 1983, putsch manqué du 6 avril 1984… Parmi les idéologues de la garde rapprochée de Paul Biya, figurent François Sengat Kuo et quelques autres. Ils sont naturellement à la baguette et à la manœuvre au congrès de Bamenda. Tout naturellement, François Sengat Kuo inspire les textes. Ils sont presque taillés sur mesure. Relisons l’article 29 des statuts, édition de mai 1985 : « Le Comité central élit en son sein, sur proposition du président national, les membres du secrétariat et leurs adjoints ». En clair le secrétariat est élu par le Comité central qui lui-même est élu par le Congrès. Il dispose donc d’un mandat et d’une légitimité. Au même titre que le président national. Le fait que ce dernier propose la liste des personnes à élire n’enlève rien à cette légitimité, source potentielle de conflit entre le président national et le secrétaire politique, véritable patron de cette équipe forte de 37 membres. Et quels membres ! Que des poids lourds, des barons. Non seulement tous sont issus du Comité central – ils sont élus en son sein selon les textes – mais dans cette première cuvée, dix membres sont au gouvernement, neuf siègent à l’Assemblée nationale, six sont des hommes d’affaires. Quelques exemples : Joseph Charles Doumba est secrétaire à l’Organisation avec Joseph Fofé et Mbella Mbappé comme adjoints, Sadou Hayatou est secrétaire à la Presse, à l’Information et à la Propagande ; Hamadjoda Adjoudji est secrétaire à la Jeunesse, James Onobiono est secrétaire adjoint à l’Inspection administrative et financière, Emah Basile à la trésorerie générale. Nkuete Jean est secrétaire aux Affaires économiques et sociales. Un poste qu’il retrouvera, élargi à l’emploi, 22 ans plus tard… Autre particularité de ce tout premier secrétariat, il dispose de deux conseillers « élus » – Mayi Matip et Bouba Danki – et d’un conseiller auprès du secrétariat désigné par le président national : le Pr Adalbert Owona. Sur les 37 membres, on compte 3 femmes, soit 8,10%.Comme on peut le constater, il s’agit d’une équipe très politique composée de barons et de poids lourds à la tête de laquelle se trouve Sengat Kuo. Faut-il chercher dans la composition de cette équipe ou dans la personnalité très forte du secrétaire politique les raisons de la réforme de 1990 et de sa brouille avec Paul Biya ? L’histoire le dira.II – 1990 : Un philosophe nommé Njoh MouelléLes 28, 29 et 30 juin 1990 se tient à Yaoundé le 2e Congrès ordinaire du Rdpc au cours duquel Paul Biya invite son parti à se préparer à une éventuelle concurrence. Au lendemain de ces assisses, une nouvelle équipe prend les commandes au secrétariat du Comité central. De la cuvée de 1985, seuls Emah Basile et Hamadjodja Adjoudji font figure de survivants : l’un reste trésorier général, l’autre devient son adjoint. Le poste de secrétariat politique disparait. On parlera désormais d’un secrétaire général à la tête du secrétariat du Comité central. Ebénézer Njoh Mouellé, philosophe bien connu et conseiller technique à la présidence de la République est le premier occupant du poste. Quelques évidences sautent à l’œil : la structure est allégée de manière significative. Le nombre de secrétaire est réduit de 10 à 3 y compris la trésorerie général. Les effectifs passent de 37 à 8 ! Aucune femme n’y figure ! Quant au profil politique et administratif des membres de ce secrétariat, il ne résiste pas à la comparaison avec ceux de l’équipe précédente. Ebenezer Njoh Mouellé n’est « que » membre suppléant du Comité central. Aucun député ne siège plus au secrétariat et en dehors d’Emah Basile et de son adjoint Hamadjouda Adjoudji, respectivement membres du Bureau politique et du Comité central, les autres sont plus des technocrates que des politiques. Polycarpe Oyié Ndzié est secrétaire général adjoint, Hubert Mono Ndjana à la Communication et à la culture avec comme adjoint Marc Mongbet Lamare, Simon Munzu aux Affaires économiques et sociales, avec Kamdem David comme adjoint. Dans cette logique d’allégement de la structure technique, les postes de commissaires aux conflits et de commissaires aux comptes ont disparu de l’organigramme. C’est cette équipe réduite comme une peau de chagrin qui, pendant deux ans, affrontera les épreuves de la transition démocratique et du retour au multipartisme. Malgré le courage et la pugnacité de quelques-uns, elle ne résistera pas à la bourrasque. Ebénénzer Njoh Mouellé se présente aux premières élections législatives de l’ère du multipartisme en mars 1992 dans le Nkam. Le verdict des urnes est sans appel pour le secrétaire général du Comité central du Rdpc qui est battu. Le 10 mars 1992, Paul Biya nomme un nouveau secrétaire général au secrétariat.III- 1992 : un « artiste » de la politique nommé Joseph Charles DoumbaSur le plan intellectuel, le nouveau secrétaire général est la synthèse de ses deux prédécesseurs : un professionnel et un stratège de la politique qui ne dédaigne pas de s’essayer à l’art de la philosophie. C’est à lui qu’incombe la gestion des lendemains incertains d’une élection au cours de laquelle, il faut bien le reconnaître, le Rdpc n’a pas pu obtenir la majorité absolue : 88 sièges « seulement » sur 180 ! La priorité du moment consiste à négocier une alliance pour permettre au Rdpc d’atteindre la majorité absolue, condition sine qua non pour la formation d’un gouvernement. Le Mrd de Dakolé Daïssala accepte la main tendue du Rdpc. La suite, on la connaît. Pendant cinq mois, le nouveau secrétaire général travaille avec l’équipe laissée par son prédécesseur. Jusqu’au 27 juillet 1992 et la nomination de nouveaux membres par le président national. Les postes de commissaires aux conflits (Engo Pierre désiré, Mbella Mbappé Robert) et de commissaires aux compte (Monthé Dieudonné, Garba Aoudou) sont réhabilités dans l’organigramme. Sur le plan numérique, et par rapport à l’équipe Njoh Mouellé, on passe de 8 à 13 membres au sein du secrétariat. Les femmes sont toujours absentes du tableau. L’innovation majeure porte sur la désignation de 12 chargés de mission et assimilés dont 1 femme, illustration de la volonté de juvénisation du parti. Avec le maintien de Emah Basile et Hamadjoda Adjoudji à la trésorerie et l’arrivée de Mbella Mbappé et Engo Pierre Désiré, les « Politiques » et les barons « résistent ». Mais à l’instar de l’équipe sortante, les technocrates et de nouvelles figures sont majoritaires. Jean Marie Etoundi remplace Hubert Mona Ndjana à la Communication et à la culture, Wilfred Mbelem succède à Simon Munzu au secrétariat aux Affaires économiques et sociales. Malgré le nombre élevé de chargés de missions, il n’ya que deux secrétariats opérationnelles hormis la trésorerie. De nombreux champs et domaines d’activités ne sont couverts. C’est pour combler ces insuffisances en ressources humaines que Joseph Charles Doumba créera entre 1993 et 1995 les cellules de promotion et d’animation. Malgré les dérives et les dérapages, elles auront permis au Rdpc de reconquérir le terrain perdu. Au premier Congrès extraordinaire du Rdpc le 7 octobre 1995, le président national reçoit mandat afin de « procéder aux reformes relatives aux textes, aux structures, aux orientations, et aux divers effectifs du parti pour une plus grande ouverture… » Ces réformes seront ratifiées au cours du 2e Congrès ordinaire un an plus tard. Parmi celles-ci, le nouvel organigramme du secrétariat du Comité central. Ce sont les postes prévus dans cet organigramme adopté en 1996 qui ont été pourvus le 4 avril 2007. Il aura fallu onze ans…IV- 2007 : un diplomate nommé René SadiLe 04 avril 2007, René Sadi, diplomate de carrière, membre du Comité central, par ailleurs secrétaire général adjoint n02 à la présidence de la République est nommé secrétaire général du Comité central du Rdpc en remplacement de Joseph Charles Doumba. Une page se tourne ; une nouvelle ère commence. Même s’il prend ses fonctions dans un contexte particulier de la vie du parti – les opérations de renouvellement des bureaux des organes de base sont en cours – le nouveau secrétaire général dispose d’un atout dans sa marche. En effet, il chaeaute une équipe complète aux talents et aux profils variés. Parmi les 19 membres, on compte huit ministres, six anciens ministres, un directeur général, treize membres du Comité central dont 11 titulaires et 02 suppléants, etc. les femmes effectuent une timide percée par rapport aux équipes précédentes : elles sont trois sur 19, soit 15%. C’est donc une équipe solide constituée de poids lourds politiques dont les doyens sont Jean Nkuete qui effectue un retour au secrétariat aux Affaires économiques, Sociales et à l’Emploi et surtout Hamadjoda Adjoudji promu au rang de secrétaire général adjoint. Ce dernier aura fait partie de toutes les équipes du secrétariat général du Comité central depuis la création du parti en 1985. Bel exemple de régularité, de fidélité et de stabilité ! Une analyse attentive de la cuvée 2007 laisse apparaître quelques « curiosité » : le nombre de conseillers a doublé passant de 1 à 2 ; le nombre de commissaires aux comptes et de commissaires aux conflits a diminué ; il n’y a plus qu’un titulaire à chacun de ces postes ; le trésorier général et le secrétaire aux Relations internationales et aux Droits de l’Homme n’ont pas d’adjoints…Ainsi va et évolue le secrétariat du Comité central. A l’image du Rdpc dans son ensemble, il n’est pas figé, statique. Il subit des mues, des mutations et des réformes au gré du temps et des circonstances pour s’adapter aux contextes. Paul Biya, qui en assure l’autorité en tant que président national, ne l’a modifié que quatre fois depuis 1985. A sa tête et en son sein se sont succédés des hommes – et très peu de femmes – aux tempéraments, aux caractères et aux profils différents. Chacun a essayé à sa manière de marquer de son empreinte la structure. Avec des moyens et des résultats divers et variés que l’histoire et les militants se chargeront de juger. Quelles que soient les motivations et les ambitions des uns et des autres, tous doivent avoir à l’esprit ces propos de Paul Biya : « les hommes passent, le « parti demeure ». Si à chaque passage du témoin chacun pouvait laisser le parti plus fort qu’il l’a trouvé…Texte publié dans L’Action N°608 du 4 avril 2008

Christophe MIEN ZOK

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