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Mpoundou : La vie au village, à l’heure du Covid

Ambiance de la fête du travail par temps de covid-19 dans le village de Mpoundou, arrondissement d’Angossas, département du Haut-Nyong, Région de l’Est.

En ce tout début de matinée du premier jour du mois de mai 2020, la grande place du village de Mpoundou est presque vide. Sous le grand arbre mythique et fétiche qui abrite à la fois le marché et la place des fêtes, l’animation est timide. Toutes les conditions sont pourtant réunies pour que la place grouille de monde. Il est à peine sept heures trente et déjà les rayons du soleil colorent le feuillage bien vert du grand arbre et les maisons en terre ocre d’une belle teinte orangée et dorée. Les météorologues traditionnels prédisent une belle journée à partir de leurs propres observations. Pas besoin que quelqu’un se dévoue et se prive pour « arrêter la pluie ». Nous sommes le 1er mai, jour de la fête internationale du travail, un rendez-vous important dans le calendrier de ce village depuis plusieurs années. Malgré ce décor de carte postale, l’ambiance est plutôt morose. La traditionnelle célébration de la fête du travail, qui a tendance à prendre ici des allures de carnaval, est purement et simplement annulée, victime collatérale du coronavirus. Cette année, il n’y aura pas de défilé. Un malheur sans précédent!
Et pourtant, les préparatifs ont commencé plusieurs mois avant. Les habitants du village, agriculteurs pour la grande majorité, ont l’habitude de s’organiser en groupes de travail appelés « Badga ». Le nombre de membres et la périodicité des rencontres varient et il est permis d’appartenir à plusieurs groupes, à condition de s’adapter aux calendriers exigeants et contraignants de chacun. D’ailleurs, il n’est pas rare de rencontrer des personnes qui commencent avec un groupe très tôt le matin (Antsimbou) pour enchaîner avec un autre en mi-journée. Comme dans une tontine, chaque membre bénéficie à tour de rôle de la force de travail collective du groupe. Cette mutualisation des efforts et de la main-d’oeuvre profite individuellement à chaque membre, mais il existe aussi des « mercenaires » qui n’hésitent pas à louer leurs services au plus offrant. Au lieu de conduire le groupe dans son propre champ, il le met à la disposition d’une tierce personne contre rémunération. Ces cas sont plutôt exceptionnels. La règle générale ici tient en un slogan: « un pour tous, tous pour un »; l’union fait la force. En fonction de son calendrier et de ses besoins, le groupe peut néanmoins prêter ses services à un non-membre moyennant une « corvée ». La procédure est relativement simple. Soit d’initiative ou à la demande du client, le contact est noué. La nature et le jour des travaux sont arrêtés. Pour fixer le prix, « l’agronome » et le président du groupe descendent sur les lieux afin de procéder à une évaluation. En plus de ses obligations internes, un groupe peut ainsi réaliser plusieurs corvées par an. Autant de « marchés » qui permettent de gagner de l’argent destiné à l’épargne en vue de préparer les fêtes de fin d’année et surtout le 1er mai.
À l’instar des éditions précédentes, cette 134ème fête du travail devait être une belle occasion de réjouissances sur la base d’un programme bien rôdé: défilé; « cassation » des caisses; distribution de prix constitués de matériel agricole, de produits phytosanitaires; repas abondamment arrosés de bière et autres breuvages du terroir, etc. Ce rendez-vous rituel et sacré a été gâché par le Covid-19, à la grande déception des travailleurs du monde rural, obligés de faire contre mauvaise fortune bon cœur. La fête n’a donc pas eu lieu comme les années précédentes. Mais l’essentiel est sauf: les membres ont savouré le fruit de leur dur labeur annuel. Dans la plupart des groupes, chacun a reçu un poulet, une machette, une lime, des sachets d’herbicide. Mesures de distanciation obligent et malgré la réouverture, décidée la veille, des bars et débits de boissons au-delà de 18 heures, les lampadaires du village, devenus les nouveaux espaces de socialisation, d’animation et de convivialité, sont restés déserts. À la fin de la journée, l’ambiance dans le village n’avait pas perdu de sa morosité, même si quelques disciples de Bacchus affichaient une bonne humeur et un air guilleret, caractéristiques de leur principale activité éthylique.

Le travail continue
La pandémie du covid-19 a donc privé les « seigneurs de la terre » de Mpoundou et des environs de la célébration de leur fête préférée. Ce 1er mai 2020 restera négativement marquée dans leurs mémoires. Qu’à cela ne tienne, ils sont déjà tournés vers la prochaine édition. Ils ne peuvent se permettre le moindre signe de paresse ou de faiblesse. En effet, la publication des premières mesures de lutte contre la pandémie par les autorités camerounaises a coïncidé avec le début de la saison agricole. En zone rurale, cette période est déterminante. Les villages se vident de leurs habitants au profit des campements saisonniers installés en brousse. Les citadins peuvent se permettre de parler de télétravail. Ici, la notion ne traverse même pas les esprits. Le travail de la terre ne se fait pas à distance; c’est le contact direct, le corps à corps. Les campements ne désemplissent donc pas. Plus que jamais, les groupes de travail tournent à plein régime. Le corona est le cadet de leurs soucis. Les mesures-barrières sont peu respectées. Comme le dit un « Mpoundois » avec ironie: « cette maladie concerne les gens de la ville. Je n’ai pas appris que les arbres transmettent le virus. Au contraire, les racines et les écorces aident beaucoup. » Conséquence de cette insouciance: aux champs comme au village, les repas sont toujours pris en groupe; on mange dans la même assiette; on boit dans le même gobelet. Les décoctions à base de plantes ou d’écorces sont toujours à portée de main.
Tel est peut-être le prix à payer pour que la crise sanitaire ne dégénère pas en une crise alimentaire. La pandémie ne retardera pas la saison agricole. À Mpoundou comme un peu partout dans les campagnes, « les seigneurs de la terre » sont prêts à se sacrifier pour produire et assurer le ravitaillement des grandes villes. Ils n’ont pas d’autre choix, puisqu’ils tirent l’essentiel de leurs revenus de l’agriculture. Leur volonté, leur enthousiasme et leur courage contrastent néanmoins avec l’indisponibilité et l’absentéisme des agents d’encadrement mis à leur disposition par les pouvoirs publics. Alors que la saison des semailles bat son plein, les chefs de poste agricole et autres moniteurs brillent par leur absence sur le terrain. Si la célébration du 1er mai s’était déroulée normalement, on les aurait retrouvés assis à la tribune d’honneur pour assister au défilé des travailleurs. Et ils seraient repartis les bras chargés de victuailles et de provisions apprêtées pour la circonstance par les membres des différents Badga. Le covid est venu mettre des grains de sable dans ce juteux tapioca. Comme dit le Mpoundois cité plus haut avec son sens de la formule et de l’ironie: « les singes travaillent, les chimpanzés répondent à l’appel et les gorilles récoltent, assis derrière les bureaux ». La pandémie du covid-19 peut-elle mettre un terme à ce système? Rien n’est moins sûr, mais la réponse importe peu aux membres des différents groupes de travail de Mpoundou. Ils attendent avec impatience et sérénité la prochaine édition de la fête du travail. Il y aura certainement encore plus de poulets, de petit matériel agricole et de produits phytosanitaires à partager. Et la fête sera encore plus belle, avec davantage de réjouissances populaires. Le coronavirus ne sera plus alors qu’un lointain et mauvais souvenir.

De notre reporter en confinement spécial à Mpoundou, Christophe Mien Zok

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