Le décès brutal et violent de Georges FLOYD, cet africain-américain, mort étouffé en huit minutes et quarante-six secondes sous le genou d’un policier blanc de Minneapolis aux États-Unis n’aura peut-être pas été inutile. Au-delà de l’émotion suscitée et des manifestations provoquées à travers le monde entier-un peu moins en Afrique, paradoxalement-cet incident tragique semble avoir créé une prise de conscience. Il faut espérer qu’elle ne sera pas éphémère et passagère; qu’il ne s’agit pas d’une écume de surface mais d’une lame de fond. En tout cas, les fruits, gorgés du sang et de la sève vitale de ce nouveau martyr de la cause noire, n’ont pas attendu la promesse des fleurs: désormais, un peu partout, on déboulonne à tout-va les statues d’anciens esclavagistes, on débaptise au quart de tour des rues, des places et des bâtiments pour effacer des mémoires les méfaits et les forfaits de certains personnages célèbres de l’histoire occidentale longtemps considérés comme des héros par certains, aujourd’hui frappés d’infamie et perçus comme des bourreaux par d’autres. Y a-t-il un lien de cause à effet? L’avenir le dira mais les signes annonciateurs d’un frémissement positif s’accumulent. Le roi des Belges vient ainsi de présenter « ses plus profonds regrets pour les blessures » infligées lors de la période coloniale en République démocratique du Congo. En 2017, lors d’une visite en Algérie, le Président français avait déjà estimé que le colonialisme a été « une erreur profonde, une faute de la République ». C’est un début. Pourvu que ça dure…
Toutefois, on ne va pas réécrire l’histoire. Ce qui est fait est déjà fait…On peut en effet être sceptique, car les habitudes ont la peau très dure. Il est difficile d’imaginer que la mort d’un anonyme et lointain descendant d’esclaves africains, fût-il citoyen américain, puisse effacer d’un trait des siècles de domination et de discrimination des blancs vis-à-vis des noirs. Il ne faut pas se faire d’illusions; toute l’hypocrisie du monde ne changera pas subitement ce rapport de force. Pendant que les esclaves d’hier cherchent à briser leurs chaînes, les maîtres de toujours développent toutes sortes de stratégies et d’artifices pour perpétuer leur domination. L’actualité récente fourmille d’exemples irréfutables pour illustrer et soutenir cette affirmation. Prenez le cas de la gestion de la circulation des personnes pendant la pandémie du covid-19. Alors que le virus est parti de l’Europe pour être propagé en Afrique, les pays européens de l’espace Schengen interdisent l’entrée dans leur espace aux ressortissants de certains pays africains. Et pourtant ces derniers ont ouvert prématurément leurs frontières aériennes pour accueillir les avions de certaines compagnies européennes. La réciproque reste attendue. Elle le restera tant que la loi du plus fort sera toujours la meilleure. L’ingratitude des puissants face aux faibles est un classique…
Pendant la même période, les États-unis d’Amérique, donneurs de leçons devant l’Eternel en matière de respect de droits de l’homme et de l’Etat de droit, brandissent des sanctions contre les magistrats de la Cour pénale internationale(CPI) qui seraient tentés d’engager des procédures contre les militaires américains soupçonnés de crimes de guerre en Afghanistan. Les mêmes menaces visent les membres des familles des magistrats de cette CPI qualifiée de « tribunal fantoche »; apparemment bon et utile lorsqu’il s’agit seulement de juger les dirigeants africains et quelques mercenaires ou chefs de guerre devenus incontrôlables. Faites ce que je dis; pas ce que je fais…
Ce double langage très fréquent dans les relations internationales a été théorisé, conceptualisé et est pratiqué à ciel ouvert par les Américains sous le vocable de LAWFARE pour désigner un autre volet de la guerre asymétrique entre États. Cette théorie consiste à utiliser le droit national ou international de manière illégitime pour imposer son point de vue ou neutraliser son adversaire. Au nom de la LAWFARE, la « communauté internationale » peut prendre des sanctions économiques ou financières contre tel pays ou dirigeant récalcitrant; sous la même bannière, on fait la promotion de l’homosexualité et on l’impose comme « valeur universelle ». Circulez il n’y a rien à voir et à dire. La loi du plus fort est toujours la meilleure; y compris ses déviances et ses égarements.
Hélas, trois fois hélas, la classe politique africaine en général, camerounaise en particulier, toutes chapelles confondues, continue à avoir des yeux de Chimène pour cette brumeuse communauté internationale. Elle y reste accrochée comme le pendu à sa corde. Tiens tiens des cordes…On dirait un challenge qui anime et agite actuellement les réseaux sociaux au Cameroun au point de faire de la publicité à un célèbre quincailler. Imagine-t-on, à l’époque tristement célèbre du Ku Klux Klan, des noirs acheter des cordes pour leurs bourreaux suprémacistes blancs? Et pourtant c’est ce que fait systématiquement un opposant camerounais depuis des années. Après avoir remué ciel et terre pour avoir le soutien de l’Union africaine, de l’Union européenne afin d’être installé dans le fauteuil présidentiel après une élection perdue, il vient d’appeler au secours le Conseil de sécurité de l’ONU et la France pour une intervention au Cameroun. Manifestation du syndrome de Stockholm où l’on voit l’otage pris de sympathie pour son geôlier? Sans doute. Parmi nos responsables politiques, certains semblent prêts à poursuivre la doctrine de la LAWFARE afin que, sous couvert de lois et de règles venues d’ailleurs, le système de domination et d’aliénation se perpétue. C’est peut-être une forme de… modernité au sens de Milan KUNDERA pour qui « être moderne c’est être l’allié de ses propres fossoyeurs ». Comment dit-on requiem dans une de nos langues…vernaculaires?