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L'Editorial

TUMI: ni ange, ni démon

Le seul et, jusqu’à présent unique, Cardinal de l’histoire de l’église catholique romaine qui est au Cameroun a tiré sa révérence vendredi dernier à l’âge respectable de 91 ans. Comme un signe du destin et un clin d’œil à la communauté chrétienne, Christian TUMI, puisqu’il s’agit de lui, est décédé le vendredi saint, quelques heures seulement avant la célébration de la fête de Pâques. Pour un homme qui aura consacré plus de la moitié de sa vie au sacerdoce et au service de l’Eglise, on peut dire que quitter la scène en ce moment précis est une grâce. Quelle image laisse l’illustre disparu à la postérité? Si l’œuvre du berger et l’héritage du prélat ne suscitent aucun débat tant ils sont immenses, les prises de position de l’homme public et du citoyen engagé qu’il était ne feront pas de si tôt l’unanimité. En effet, autant l’interventionnisme du Cardinal TUMI dans la sphère politique était apprécié des Camerounais proches de l’opposition, autant ses déclarations, parfois au vitriol, étaient mal accueillies dans les cercles du pouvoir au point de lui valoir quelques passes d’armes et des remontrances régulières avec certains hiérarques. Le moins que l’on puisse dire est que Mgr TUMI, par ses critiques acerbes et virulentes, ne ménageait ni le Renouveau ni son promoteur Paul Biya qui selon lui, pouvaient être considérés comme le Mal suprême voire l’incarnation du diable. Au regard de la virulence des « attaques », certains « fidèles » du Président n’hésitaient pas à les lui rendre coups pour coups.
Nous avons par exemple retrouvé un article que l’auteur de ces lignes lui avait consacré le 21 octobre 2004, peu après l’élection présidentielle. Intitulé « la mauvaise foi de TUMI », cet article faisait plus ou moins le bilan des relations orageuses entre le Cardinal et le régime de Yaoundé. En voici un extrait: « Depuis plus d’une décennie, TUMI a tout mis en œuvre pour diaboliser le pouvoir en place au Cameroun. Chaque fois, il s’est drapé derrière les plis et les replis de sa soutane pour pontifier et asséner des avis qu’il croit dogmatiques et définitifs sur la gestion du pays. Malgré le caractère grossièrement partisan de ces prises de position -Tumi ignore peut-être qu’il y a aussi des chrétiens dans le RDPC et qui soutiennent Paul Biya -on évite très souvent de lui répondre. Par respect pour sa charge mais aussi à cause de la confusion qu’entretient volontairement l’intéressé: est-ce le citoyen ou le Cardinal qui parle ? »
Toutefois, quelle que soit la profondeur des divergences et la largeur du fossé qui a pu séparer le défunt des options et des actions du Renouveau, les militants du RDPC ne peuvent et ne devraient pas se réjouir de son décès. Avec la disparition du Cardinal TUMI, le Cameroun vient de perdre une autorité morale qui, du haut de sa chaire cardinalice, exerçait en quelque sorte une magistrature d’influence pour le progrès de notre pays. Ces dernières années, le Cardinal semblait avoir mis de l’eau dans son vin au point de provoquer l’ire de ses supporters les plus fanatiques qui lui reprochaient son rapprochement avec les positions du pouvoir. En vérité, il voulait sans doute démontrer qu’au-delà des personnes et des acteurs, il militait en réalité pour l’intérêt supérieur du Cameroun. Tout le monde se souvient de ses récentes déclarations sans appel contre la sécession et les séparatistes. Comme tout être humain, il pouvait être divers, ondoyant, déroutant et insondable mais il était profondément patriote et tenait à l’unité et à l’intégrité territoriale du Cameroun.
Peut-être s’est-il souvenu de ce que Joseph Charles DOUMBA, alors Secrétaire Général du Comité Central du RDPC, lui avait dit dans les couloirs du Palais des congrès en 1994 lorsqu’il se retirait des travaux du Comité consultatif constitutionnel-comme en 1991 déjà à la Tripartite: Monseigneur, lui avait-il rappelé, « n’oubliez pas que vous êtes un homme de Dieu et Dieu écrit droit avec des courbes ». Malgré ses zigzags, le Cardinal se voulait un homme droit dans ses convictions. Il n’était ni ange ni démon, mais un grand patriote habité voire dévoré par une passion sans bornes pour son pays. Qui sommes-nous pour le juger au moment où il quitte la scène? Il a servi son pays et son Église avec foi; certains diront avec zèle. Il mérite le pardon pour ses écarts et ses emportements mais aussi la reconnaissance éternelle pour son engagement en faveur d’un Cameroun un, uni et indivisible. Puisse son âme reposer en paix.

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