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La Société

Pour un WAZIZI, combien de AYAFOR ?

L’annonce de la mort en détention d’un animateur-journaliste soupçonné d’intelligence avec les séparatistes ambazoniens soulève une grande indignation et de nombreuses questions.

La crise sanitaire liée au covid-19 est loin d’avoir éclipsé les crises sécuritaires qui menacent la paix sociale au Cameroun. Non, le Covid n’a pas vidé les théâtres des opérations de leurs acteurs. À l’Extrême-nord, Boko Haram ne désarme pas et continue son travail de sape contre les forces de défense et les populations civiles. Au Nord-ouest et au Sud-ouest, les séparatistes poursuivent leurs exactions malgré les efforts du gouvernement en vue de la restauration de la paix et la reconstruction économique. Hélas, ce volontarisme des pouvoirs publics n’est pas à l’abri d’un dérapage; il suffit parfois d’un grain de sable pour déchaîner les polémiques et les critiques au point de remettre en cause les nombreux acquis! Des incidents isolés, davantage liés à la maladresse qu’à une volonté planifiée, sont grossis, déformés et exploités afin de mettre en difficulté les autorités aux yeux de l’opinion publique nationale et internationale. Hier c’était Ngarbuh, un incident de terrain survenu dans le feu de l’action. Aujourd’hui, c’est l’affaire Samuel EBUWE AJIEKIA, alias WAZIZI du nom de cet animateur d’une chaîne de télévision locale installée dans le Sud-ouest, interpellé à Buea puis transféré à Yaoundé pour cause de soupçon de complicité avec les séparatistes et « mort le 17 août 2019 des suites d’une sepsis sévère » à l’hôpital militaire de région no1 alors qu’il faisait l’objet d’une exploitation par le service central de recherches judiciaires de la gendarmerie après un transit par la sécurité militaire. Suite à une campagne médiatique menée depuis quelques temps, sa mort a été confirmée la semaine dernière par le Ministère de la défense. Il aura néanmoins fallu plus de huit mois pour que la Grande Muette sorte de son silence, alimentant ainsi une nouvelle polémique dont on aurait bien pu se passer et obligeant le Président de la République, Chef suprême des Armées, à monter une fois de plus au front en promettant l’ouverture d’une enquête. On peut imaginer que si, à chaque échelon, chacun avait assumé ses responsabilités, cette affaire n’aurait pas pris une telle ampleur et ne serait pas remontée jusqu’au Chef de l’Etat. C’est regrettable, inacceptable et inadmissible; au nom du respect de la vie, des valeurs de la République, de l’honneur, de la fidélité et du devoir d’exemplarité auxquels sont soumises les forces de défense et de sécurité. Le dire n’enlève rien aux multiples mérites de notre armée et n’efface pas ses bons et loyaux services rendus à la Nation. Maintenant qu’une enquête a été prescrite, il convient d’attendre ses résultats avec sérénité. Toutefois, sans chercher à banaliser la mort de ce compatriote ou à entretenir à son sujet une polémique de mauvais aloi, il y a quand même lieu de soulever deux interrogations. EBUWE AJIEKIA était-il un journaliste ou un animateur? S’en est-il servi comme couverture pour mener des activités répréhensibles? Poser ces questions ne signifie nullement faire diversion pour détourner l’attention du véritable enjeu. Jusqu’à présent, personne n’a produit la moindre carte professionnelle. Le mystère restera donc entier. Comprenons-nous bien: aucun Camerounais innocent ne mérite de mourir dans des circonstances floues et il faudra faire toute la lumière sur cette affaire qui connaît sans doute un tel retentissement en raison de la solidarité corporatiste des journalistes. Ces derniers qui, par réflexe, se mobilisent autant pour « leur confrère » se rendent-ils compte de ce qu’ils sont probablement la seule profession à ouvrir ainsi ses portes à tous les vents? Au Cameroun, tout le monde peut en effet prétendre être journaliste sans que cela gêne les vrais professionnels. Ce laisser-aller autorise-t-il tous les débordements et confère-til passe-droits, impunité et immunité? Les journalistes, les vrais, devront répondre à cette question un jour. Pour un WAZIZI dont le sort mobilise la presse et suscite l’indignation, combien de Camerounais anonymes et ordinaires sont tués, soumis à la torture par les combattants séparatistes dans l’indifférence des médias, des ONG et des chancelleries occidentales? Pourtant leurs vies comptent autant que celle des autres victimes. Gare au prisme subjectif, déformant et grossissant de la loupe qui a tendance à créer une espèce de discrimination entre les victimes de la crise du NOSO! Évitons l’indignation sélective et la compassion orientée ou à tête chercheuse. Gardons-nous d’entretenir un concours mémoriel ou un hit-parade de l’émotion suscitée par de tragiques disparitions. Il ne saurait y avoir de bons et de mauvais morts. Le cas de WAZIZI n’est pas plus émouvant que ceux de Florence AYAFOR, Larissa SOUZOCK ou le jeune Maire de Mamfe. Qu’il soit journaliste, animateur ou reporter n’y change rien. Chaque mort de cette crise est un mort de trop.

CMZ

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