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Motion des universitaires : Beaucoup d’émotion pour rien

Quelques individus poussent des cris d’orfraie, pour dénoncer la signature, par 988 enseignants d’université d’Etat, d’une motion de soutien au président Paul Biya. Comme si ces derniers n’étaient pas libres d’exprimer leurs opinions politiques. En dehors des amphis.

Une polémique inutile, pourrait-on dire. Pourtant, les tenants du retour à la pensée unique n’en démordent pas : les universitaires n’auraient pas dû signer une motion de soutien au président Paul Biya. Comme arguments massues, ils évoquent pêle-mêle, comme Xavier Messe, le rédacteur en chef du quotidien Mutations, « Le contingentement des enseignants » qui n’auraient agit que dans le secret espoir de se frayer un passage vers le sommet de la hiérarchie universitaire ou administrative. Ils vont même plus loin, en estimant qu’au lieu d’écrire des motions de soutien, les enseignants d’université feraient mieux de se concentrer sur leurs productions scientifiques, pour faire avancer la connaissance.
A cause ou grâce à cette polémique, les universitaires ont décidé d’organiser un débat à Yaoundé vendredi 29 avril 2011. Ce sera l’occasion pour ceux qui ont signé la motion d’argumenter, de justifier ce qui est une prise de position politique, un engagement citoyen, mus par la volonté de ces hommes qui sont bel et bien libres d’exprimer leur satisfaction sur la manière avec laquelle le président de la République, Paul Biya, conduit les politiques publiques, pour le développement du Cameroun et l’épanouissement de ses compatriotes.
Mais déjà, plusieurs enseignants signataires sont montés au créneau pour démonter les arguments, plutôt les arguties de ceux qui tentent désespérément de réduire leur acte à une démarche bassement « alimentaire ». Le professeur Jacques Fame Ndongo, éminent sémioticien – analyse du discours – et ministre de l’Enseignement supérieur a été l’un des premiers à le faire. Au sortir de la cérémonie de présentation officielle du tome 4 de l’ouvrage « Paul Biya : l’appel du peuple », après avoir dit ce qui fonde scientifiquement la motion de soutien, a eu cette sortie : « Les universitaires camerounais sont parmi les plus perspicaces du monde. Ils peuvent difficilement être instrumentalisés par un ministre, un recteur, un doyen, un chef de département ou par qui que ce soit. Au regard de la nouvelle gouvernance universitaire […] les universitaires se sont concertés et ont adressé une motion de remerciement et de déférence au chef de l’Etat, en toute indépendance et sans coercition aucune sur qui que ce soit. Je l’ai signée, comme mes collègues qui en ont eu convenance, non pas ès qualité de ministre de l’Enseignement supérieur, mais en ma qualité de professeur titulaire des universités camerounaises. »
Un autre professeur titulaire des universités camerounaises, le sociologue Valentin Nga Ndongo, s’est lui aussi dit interloqué de voir des gens s’offusquer d’un acte citoyen : « L’homme de science, le savant n’est pas à confondre avec l’homme politique. Mais le savant, l’homme de science est libre de faire de la politique. C’est ma situation. Je n’ai pas signé cette motion de soutien dans un amphithéâtre. Je n’ai pas invité mes étudiants à soutenir le président Biya. Je l’ai fait comme tout citoyen qui est libre d’exprimer son opinion politique. […] On a vu Bourdieu (sociologue français, Ndlr) signer des pétitions, faire grève, critiquer le pouvoir en place. Raymond Aaron, l’un des plus grands sociologues du XXème siècle, a toujours été considéré comme proche du pouvoir. Donc il n’est pas du tout condamnable pour un homme de sciences d’exprimer ses opinions politiques, dès lors qu’il ne le fait pas au sein de l’université. »
Le docteur Mabou, secrétaire général de l’Ecole supérieure des sciences et techniques de l’information et de la Communication ne dit pas autre chose, lorsqu’il affirme que bien qu’étant un universitaire, qui dispense ses cours dans l’amphi en respectant tous les canons scientifiques, il a le droit d’avoir des opinion politiques marquées, affirmées, assumées, comme beaucoup d’autres avant lui : Jean Paul Sartre, Emile Zola, Raymond Aaron… « Je suis un homme libre. Je suis un citoyen. Le citoyen est caractérisé par sa liberté. J’ai signé cette motion. Je l’ai fait pour des raisons qui me paraissent évidentes, comme plusieurs autres Camerounais, de différentes couches sociales qui se sont exprimés au Sud, à l’Est, à l’Ouest, au Nord, etc. J’ai des convictions politiques ; je crois en ceux qui sont à la tête de l’Etat aujourd’hui. C’est un soutien, c’est un engagement politique. Et on a vu dans l’histoire des intellectuels qui se sont engagés politiquement. Le 7ème Livre de Platon, L’allégorie de la caverne, est une prise de position politique, par rapport à la démocratie pervertie à Athènes. Plus récemment Sartre, dans L’existentialisme est un humanisme, montre l’acteur politique ; on a vu Albert Camus… Donc un intellectuel peut prendre position dans le cadre d’un acte citoyen. »
Mais là où le bât blesse c’est lorsque ces mêmes personnes, qui vilipendent les enseignants signataires de motion, affichent un mutisme béât devant des prises de positions politiques d’autres universitaires, pas toujours tendre vis-à-vis du pouvoir. Nga Ndongo : « Lorsqu’ils vont dans les réunions de leurs partis, lorsqu’ils signent pour ces partis, personne ne trouve à redire. C’est ce qui est incompréhensible. Pourquoi cette stigmatisation ? Est-ce à dire que lorsqu’on soutient Paul Biya on est nécessairement du mauvais côté ? Ils auraient peut-être aimé qu’on signât une motion pour un leader d’un parti d’opposition. »
Et le Dr Mabou de trancher : « Je suis tenté de croire qu’on veut nous ramener à l’ère de la pensée unique. »
Ce comportement, Jacques Fame Ndongo l’assimile à du « Banditisme politique, […] qui consiste à demander à un Camerounais de ne pas exprimer librement ses idées, alors que le Président Biya a permis aux Camerounais d’afficher publiquement leurs opinions politiques, sans craindre quoi que ce soit. »
Et pour bien indiquer que plusieurs cas dans l’histoire plaident en faveur des signataires de la motion, Fame Ndongo rappelle à notre bon souvenir le cas de deux sommités de l’intelligentsia française : « le célébrissime intellectuel André Malraux qui fut d’abord communiste et participa, à ce titre, à la guerre d’Espagne en 1936 contre le général Francisco Franco, n’hésita pas à soutenir plus tard le général Charles De gaulle (homme politique de droite) lorsqu’il fut convaincu de la justesse de ses idées, alors même qu’un autre géant de l’intelligentsia française, Jean Paul Sartre, afficha ses idées hostiles à De Gaulle puis à Georges Pompidou. C’est cela la démocratie. Et il est sain qu’il en soit ainsi. La légitimité est fonction non pas des déclarations ostentatoires et gesticulatoires, mais du verdict des urnes, en toute transparence. Ce sera le cas en octobre 2011. »
Est-ce cette perspective qui donne des céphalées à ceux qui constatent, désespérément, que Paul Biya jouit encore et toujours d’un soutien massif et franc de toutes les couches de la société camerounaise ? La réponse coule de source. S’il y a  un conseil à leur donner, c’est qu’ils s’approvisionnent en puissants antalgiques. Car le chemin est encore long. Très long même. 

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