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Declassification : contraintes et perspectives :

Un débat mal maîtrisé s’est ouvert dans les médias et l’opinion publique depuis la récente visite de M. François Hollande au Cameroun. 

Effleurant à peine la question, le président Français avait indiqué la possibilité de la déclassification des archives de son pays sur la période d’avant, pendant et après l’indépendance du Cameroun en 1960. « C’est vrai qu’il y a eu des épisodes extrêmement tourmentés et tragiques même. Puisqu’après l’indépendance, il y a eu une répression en Sanaga-Maritime, au pays Bamiléké, et nous sommes, comme je l’ai fait partout, ouverts pour que les livres d’histoire puissent être ouverts, les archives aussi », avait-il alors déclaré, suscitant un vent d’espoir pour la recherche historique et la manifestation de la vérité sur une période sombre de l’évolution de notre pays.
Avec des motivations diverses, des groupes de personnes s’expriment dans les médias et la toile tantôt pour réclamer justice ici et maintenant, tantôt pour saluer cette initiative qui reste administrativement à mettre en place ou encore pour réclamer des comptes. Certains noms de contemporains sont jetés en pâture, des chiffres des morts sont avancés, des régions et des groupes ethniques mis en indexe, des montants financiers pour la réparation sont exigés. Loin de tout contexte et du bon sens, et en attendant qu’un travail sérieux soit entrepris, on est à la limite du ridicule.
L’initiative du Président Français, si elle venait à se mettre en place, est un grand pas éminemment historique qu’il conviendra d’apprécier à sa juste valeur. Partout où elle a eu lieu, la déclassification des archives d’une période donnée de l’histoire d’un pays ouvre de perspectives solides et crédibles pour le témoignage de la vérité et l’exigence du devoir de mémoire, dans la mesure où elle permettrait une lecture objective, contradictoire et complète de cette période et donnerait droit à la compréhension des faits, des circonstances, des actes et des hommes ayant marqué ce temps précis. Et c’est un travail de spécialistes et des initiés et non de la foule ou des profanes.
Bien que cette notion de « devoir de mémoire » soit devenue aujourd’hui un outil sémantique du roman post colonial, du fait de sa fonction d’illustration de la grandeur et de l’honneur de la France par la mise en évidence de ses propres héros, elle est devenue sous les tropiques une monnaie d’échange pour « les victimes » qui exigent réparation et indemnisation, en sacrifiant l’essentiel sur le matériel et l’argent. De plus en plus, il y a comme une cristallisation autour du « devoir de mémoire », qui distingue les nationalistes, les patriotes et les autres. Il y a donc, de ce point de vue, de « bons » nationalistes, les « traitres » à la nation, les antipatriotes. Or en ouvrant les archives, même de façon partielle, il y apparaîtra une autre dimension plus approfondie du nationalisme, celle qui va distinguer les « vrais martyrs », les « résistants », les patriotes et les « roublards ». On pourra aisément comprendre que dans la quête de l’émancipation du pays, les ambitions étaient parfois les mêmes et que seules divergeaient les stratégies et les cheminements. Les nationalistes et les patriotes ne se recrutaient pas uniquement à « gauche ». Il y avait au Cameroun, à l’image d’un De Gaulle en France, des nationalistes de droite ou simplement des hommes et des femmes qui avaient « une certaine idée » de leur pays et de la façon de le conduire vers l’indépendance. Certains ont fait le choix des armes, d’autres ont mis en place d’autres stratégies, et le colon a eu ses préférences, suivant ses desseins, ses moyens et ses méthodes. Dans le champ politique camerounais, il y avait l’Upc, porte-flambeau du nationalisme, où cohabitaient les révolutionnaires, certaines tendances communistes et de simples patriotes. Il y avait aussi des camps adverses, tout aussi patriotes et engagés. Et il y avait enfin des sans opinions, des collaborationnistes, des profiteurs et des opportunistes…
C’est ce travail de décomplexification d’un processus historique compliqué que Paul Biya a entamé depuis 1990. En commençant par abolir les lois d’exception le 19 décembre 1990, en réhabilitant certaines figures marquantes de l’histoire du pays en 1991, en prenant officiellement position sur la question de monnaie lors de la célébration des cinquantenaires de l’Indépendance et de la Réunification à Buéa en 2014, le Président a donné la possibilité à tous de revisiter la mémoire collective nationale. Il se trouve simplement que très peu de spécialistes se préoccupent de déchiffrer, décrypter et analyser ce passé douloureux pour les uns, glorieux pour les autres et essentiel pour le pays. Les timides tentations de lecture et de compréhension des conflits armés et de la guerre civile l’ont été jusqu’ici pour des raisons politiciennes et non dans le souci d’écrire l’histoire. Les itinéraires, les biographies et les combats des hommes qui, pour certains, ont tout donné pour le pays, attendent d’être révélés pour la postérité. Tout comme les traitres à la cause nationale. C’est aux historiens de donner à chacun la place que l’histoire lui réserve et aux générations futures d’apporter des jugements et d’apprécier les rôles joués par tous. La célébration en 1989 du bicentenaire de la révolution, événement fondateur de la France moderne, révéla la distance critique  qu’il y avait entre les radicaux représentés par un Maximilien Robespierre et les jacobins dont Danton, Saint Just, Desmoulins ou Marat furent les figures de proue. Pourtant, tous les historiens s’accordent sur la portée historique de leur action pour la révolution.
La simple annonce d’une possible déclassification des archives françaises sur son engagement colonial au Cameroun, si elle constitue en soi une avancée significative, ne dédouane pas nos historiens du travail de terrain qui est largement facilité au Cameroun. Les archives nationales, les témoignages des acteurs encore vivants, les lieux de mémoires où se dénouèrent certains événements sont là et attendent de livrer tous leurs secrets. Nos historiens et nos chercheurs qui bénéficient des financements et du soutien de l’État, ont du grain à moudre. Qu’ils se mettent donc à l’œuvre, pour le bien de tous.

Par Benjamin Lipawing

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