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L'Editorial

Peut-être inutile, mais nécessaire

Malgré la pandémie du covid-19, la saison des examens de l’année scolaire 2020 tire à sa fin. En attendant le jour des résultats, certains candidats au baccalauréat des séries scientifiques ont dû néanmoins recomposer les épreuves de chimie, physique et sciences de la terre. Il parait que des fuites ont sérieusement entaché le premier tour. Plus trivialement, on dit en langage camerounais que « l’eau a coulé »; autrement dit il y a eu tricherie à ciel ouvert. Il n’est pas certain que les acteurs, les auteurs et même les bénéficiaires de cette mascarade soient des adeptes de la philosophie, sinon ils ne se seraient pas risqués à quitter le chemin de la vertu pour emprunter la voie tortueuse et sordide du vice. Cet énième fait divers marqué par la tricherie aux examens officiels illustre les carences, les lacunes, les insuffisances, voire le peu d’intérêt que suscite l’enseignement de la philosophie et de la morale dans notre système éducatif. On s’interrogera toujours de savoir pourquoi l’enseignement de la philosophie commence en classe terminale et pas plus tôt.
Au-delà du système éducatif, on voit bien les conséquences d’une telle négligence sur l’ensemble de la société: manque de repères, de valeurs, déficit d’éthique, etc. Les tricheurs d’aujourd’hui sont sans doute les mêmes que l’on retrouvera impliqués demain dans toutes sortes de tricheries et de mauvaises pratiques au quotidien. Peut-être n’en serait-on pas là si on avait accordé un peu plus de temps, d’intérêt et de considération à l’enseignement de la philosophie. Peut-être n’en serait-on pas là si les « plombiers » qui ont encore fait couler l’eau cette année et ceux qui l’ont bue s’étaient donné la peine de jeter un coup d’œil, fut-il distrait, sur les sujets des épreuves de philosophie des séries littéraires cette année, notamment celui-ci: « la philosophie est-elle nécessairement fille de son temps »?
En parcourant le texte destiné au commentaire, extrait d’un essai de Martien TOWA sur « la problématique philosophique dans l’Afrique actuelle », ils auraient eu un début de réponse puisque l’ancien Recteur et Maire y pose le postulat suivant: « la philosophie tient à ce que le monde soit effectivement moral, honnête, libre ». Il est évident que depuis la nuit des temps, les sociétés s’interrogent sur l’utilité et l’intérêt de la philosophie. Elle a beau être le chemin et l’amour de la sagesse, il n’en reste pas moins qu’elle n’est pas de l’ordre de l’action; elle n’a pas d’impact immédiat sur le réel; d’autant qu’elle se caractérise par le doute et une certaine propension à l’indétermination, à la tergiversation, voire à la procrastination. Il est évident, par exemple, que ce n’est pas la philosophie qui aidera à trouver le vaccin contre le covid-19.
Toutefois, même si on peut l’opposer à la morale qui, elle, prescrit des obligations concrètes, conduit à des valeurs et délimite les frontières entre le Bien et le Mal, la philosophie, par son idéal de sagesse, aide l’Homme à s’affranchir de la barbarie. Comme le disait Platon, la philosophie apprend à réfléchir, à rechercher le Beau, le Bien, le Vrai. Dans une société camerounaise où les brutes et les truands font plus de bruits et semblent prendre le dessus, on a besoin d’un …miroir pour nos consciences; ou ce qui en reste. Dans une société où le matérialisme et l’utilitarisme sont érigés au rang de nouvelles religions, la philosophie, sans être forcément utile, devient par conséquent essentielle et nécessaire. En cela, elle reste éternellement « fille » de notre temps.
Paul BIYA, qui connaît ses humanités sur le bout des doigts, l’avait déjà compris il y a une quarantaine d’années en prescrivant aux Camerounais la rigueur et la moralisation. Dommage que certains n’aient pas bien assimilé ces deux concepts philosophiques contemporains; d’où le triomphe, de plus en plus, du Vice sur la Vertu, du Mal sur le Bien, du Faux sur le Vrai, des intérêts égoïstes sur l’intérêt général, etc. Au-delà de la quête des diplômes, philosophons, philosophons, encore et encore, il en restera toujours quelque chose de bien pour l’esprit et pour la société.

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